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vres êtres qui forment l’élément des exhibitions foraines. Si c’est de dignité humaine qu’on parle, il est certain qu’il est triste et immoral de battre monnaie sur les infirmités de notre nature. Seulement il ne faut rien exagérer, et un journal grave a peut-être été trop loin en représentant le show (je me sers de l’expression anglaise) comme la victime du showman. Un des exemples invoqués pour exciter en faveur de ces victimes la pitié britannique était la fille à figure de porc (pig-faced lady); mais comme il a été reconnu que cette demoiselle (her ladyship) était un ours rasé, on conviendra qu’il y avait quelques raisons pour la tenir en captivité. Quant aux géans, ils sont assez grands pour se défendre eux-mêmes, et pour l’enfant gras (fat boy) ou la femme pesant trois cents kilos, leur bonne mine parle assez en faveur du régime diététique qui leur est appliqué. En fait, les phénomènes vivans considèrent le showman comme un instrument de publicité, et ils ne se font aucun scrupule de le quitter pour passer sous un autre maître, quand les conditions du traité ne leur semblent point avantageuses. La scène des foires britanniques est d’ailleurs pleine de changemens à vue, et il arrive qu’un géant, après avoir été montré pour de l’argent, montre à son tour un autre géant ou une géante. D’autres fois les individus exhibés vivent dans une telle intimité avec la famille de l’exhibiteur, que, des sauvages ayant fait leurs exercices dans une baraque, les enfans du showman deviennent sauvages à leur tour, et continuent les représentations après le départ des hommes de couleur. Les nains auraient peut-être plus besoin que les autres d’être protégés; mais la nature a tout prévu : elle leur a donné l’esprit de malice et cette sorte d’égoïsme qui est particulier aux êtres faibles; ils savent donc très bien revendiquer leurs droits. Si l’impartialité m’obligeait à faire ces réserves, je n’en reconnais pas moins et avec tristesse tout ce qu’a de pénible la vie de ces créatures infortunées, sévèrement enfermées durant les chaleurs de l’été en d’étroites boîtes roulantes, et qui se condamnent à ne rien voir pour satisfaire la curiosité des autres.

Le groupe errant avec lequel nous venons de faire connaissance montre un objet quelconque; il y a une autre famille foraine dont les individus cultivent un art ou un talent particulier : ce sont les mountebanks (écuyers ou bateleurs), les pugilists, les conjurors et surtout les acteurs, strolling players, dont j’ai été à même d’étudier la vie, ayant été admis dans leur société.


III.

Je m’étais rendu l’année dernière à Chatam la veille des courses, Chatam races, qui ont lieu vers la fin de juin, non pour voir courir