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duit le jeune roi, et que Mazarin dirigeait en personne. Condé y était adoré, lui et toute sa famille, en raison de la haine qu’on portait à son prédécesseur, l’impérieux duc d’Épernon. Le parlement de Bordeaux était tout aussi engagé dans la fronde que celui de Paris, avec qui il s’était uni par une déclaration solennelle. Au-dessous du parlement était un peuple ardent et brave, qui fournissait une nombreuse milice. Condé avait nommé le prince de Conti son lieutenant-général : un prince du sang donnait du lustre à l’autorité, dominait toutes les rivalités, et devait rendre l’obéissance plus facile. Il connaissait la légèreté de Conti, mais il savait aussi qu’il ne manquait ni d’esprit ni de bravoure. Il croyait à l’ascendant que Mme de Longueville avait toujours exercé sur son jeune frère, et il espérait qu’elle le guiderait encore. Il avait confiance en cette sœur qu’autrefois il avait tant aimée, et quoique des intrigues et une triste influence, que bientôt nous ferons connaître, eussent diminué la haute admiration qu’il avait eue pour elle et à laquelle il revint plus tard, il comptait sur son esprit, sur sa fierté, sur ce courage dont elle avait donné tant de preuves à Stenay. A côté de sa sœur, il laissait sa femme, Claire Clémence de Maillé-Brézé, qui s’était si bien conduite dans la première guerre de Guienne. Il la laissait enceinte d’un second enfant, et avec elle il donnait à Bordeaux, et mettait pour ainsi dire en gage entre ses mains, pour lui tenir lieu de lui-même, le duc d’Enghien, l’espoir et le soutien de sa maison, l’objet particulier de toutes ses tendresses. C’était là un gouvernement qui avait bon air aux yeux de la France et de l’Europe; mais sa force réelle résidait en deux hommes, investis de toute la confiance du prince, et qui en secret tenaient de lui des pouvoirs absolus. Ces deux hommes étaient Lenet pour toutes les affaires civiles, et Marsin pour la guerre. Lenet, ancien conseiller au parlement de Dijon, depuis conseiller d’état, de tout temps l’homme d’affaires des Condé, était merveilleusement propre à son rôle : esprit solide et fin, rompu à toutes les intrigues, capable de conduire en même temps les négociations les plus diverses, avec l’Espagne, avec Mazarin, avec la fronde, jouant, au gré de son maître, tous les personnages, et, sous tous les masques, d’une fidélité à toute épreuve. Le comte de Marsin, né à Liège, était par-dessus tout un militaire, un officier de fortune, comme Sirot, Gassion, Rantzau, Fontaine, Merci. Il ne leur était guère inférieur. Il avait pris part aux plus grandes batailles de Condé, il avait été vice-roi en Catalogne, et Condé demandait pour lui depuis longtemps le bâton de maréchal de France. Il le demandait aussi pour Foucault, comte du Dognon, marin habile, qui avait servi de second à son beau-frère Armand de Brézé, et commandait à Ré et à Oleron. Il n’ignorait pas que Du Dognon