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mort de Châtillon, que la jeune et belle veuve, tout en accueillant fort bien les hommages du duc de Nemours, portait aussi ses vues sur Condé. Mme de Longueville avait ses raisons pour ne pas être alors très sévère, mais elle connaissait le cœur intéressé de la belle duchesse, et elle la redoutait pour son frère : elle craignait que Mme de Châtillon, ayant grand besoin des faveurs de la cour, ne retînt Condé dans les engagemens qu’il avait avec Mazarin, tandis qu’elle-même s’efforçait de l’entraîner dans la fronde. La querelle s’était renouvelée en 1651, quand Condé sortit de prison, et elle était dans toute sa force en 1652. Mme de Châtillon et Mme de Longueville se disputaient le cœur de Condé : l’une l’attirait vers la cour, espérant bien que la cour ne serait pas ingrate envers elle, l’autre le poussait de plus en plus dans le parti de la guerre. Mme de Longueville, sachant combien Condé avait d’amitié pour le duc de Nemours, qui était dans la main de la duchesse, pendant un court voyage qu’ils firent ensemble de Montrond à Bordeaux, mêla fort mal à propos la politique et la coquetterie, et essaya sur Nemours le pouvoir de ses charmes, afin de l’enlever à Mme de Châtillon et au parti de la paix. Le voyage n’avait pas duré deux jours en compagnie de la princesse de Condé, et après être resté bien peu de temps à Bordeaux, Nemours en était parti pour aller en Flandre prendre le commandement des troupes promises par l’Espagne, Nul ne sait jusqu’où avait été la faute de Mme de Longueville; mais la moindre apparence suffit à La Rochefoucauld. Comme il n’avait cherché que ses avantages dans la fronde, ne les y trouvant pas, il commençait à se lasser, et ne demandait pas mieux que de mettre fin à la vie errante et aventureuse qu’il menait depuis plusieurs années par un bon accommodement. La conduite de Mme de Longueville, en le blessant jusqu’au vif dans ce qui pouvait lui rester de tendres sentimens pour elle, et surtout dans la partie la plus sensible de son cœur, la vanité et l’amour-propre, lui fut une occasion, et, dit une contemporaine très bien informée, un prétexte[1] qu’il saisit avec empressement, de rompre une liaison devenue contraire à ses intérêts. Aussi en avril 1652, quand il revint à Paris avec Condé, et y trouva Mme de Châtillon, il entra dans toutes ses passions et dans tous ses desseins, comme lui-même l’avoua depuis à Mme de Motteville[2]; il mit à son service tout ce qu’il y avait en lui d’adresse et d’habileté, et descendit envers Mme de Longueville à des vengeances

  1. Mémoires de la duchesse de Nemours, édit. d’Amsterdam, 1758, p. 154 : « M. de La Rochefoucauld, ayant envie de la quitter depuis longtemps, prit cette occasion avec joie. »
  2. Mme de Motteville, Mémoires, édition d’Amsterdam, 1750, t. V, p. 132 : « M. de La Rochefoucauld m’a dit que la jalousie et la vengeance le firent agir soigneusement, et qu’il fit tout ce que Mme de Châtillon voulut. »