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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/264

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intérêt à la vanité, Mme de Chevreuse, habilement et doucement conduite par son dernier ami, le marquis de Laigues, que Mazarin avait su gagner, était revenue à sa première amie, Anne d’Autriche, et s’était résignée au pouvoir d’un homme qui savait au moins ce qu’il voulait, et dont la forte ambition ne chancelait pas au gré des événemens. Le crédit et les honneurs qu’elle pouvait attendre de la fronde, Mazarin les lui avait offerts, et en retour Mme de Chevreuse apportait à la royauté l’appui déclaré de ses trois illustres familles, les Rohan, les Luynes et les Lorrains. C’est elle qui, toujours puissante sur le duc de Lorraine, avait ménagé un traité secret entre le cardinal et lui, et qui tour à tour l’avait fait mouvoir en des sens si contraires. Rentrée dans toute la faveur de la reine. Mme de Chevreuse était au Louvre, à côté d’elle, applaudissant au retour de l’heureux cardinal.

Après Mme de Chevreuse, Mazarin n’avait pas eu de plus dangereux adversaires que les Vendôme et les Bouillon. Et pourtant dans cette mémorable journée du 3 février 1653 il pouvait considérer les chefs de ces deux puissantes familles comme les plus fermes appuis de sa grandeur.

César, duc de Vendôme, fils naturel d’Henri IV, était plus redoutable encore par son esprit, sa valeur et ses artifices que par sa naissance. Il n’y avait pas jusqu’aux vertus de sa femme, réputée une sainte, qui ne profitassent à l’ambition de son mari. Sa fille, la belle Mlle de Vendôme, avait épousé ce brillant duc de Nemours, qui venait de finir si tristement. Son fils aîné, le duc de Mercœur, était un prince sage et estimé, et le duc de Beaufort, son cadet, était l’idole du peuple de Paris. C’est Beaufort qui, en 1643, poussé par Mme de Montbazon et Mme de Chevreuse, avait formé le dessein d’assassiner Mazarin[1]. Le duc de Vendôme avait été soupçonné d’avoir eu la main dans cette affaire; il avait du moins donné asile en son château d’Anet à tous les complices de son fils, et, forcé de quitter la France pour prévenir la menace d’une arrestation, il avait erré plusieurs années en Italie et en Angleterre, faisant partout des ennemis au cardinal. Celui-ci reconnut qu’il valait beaucoup mieux acquérir un fils d’Henri IV, en y mettant le prix, que de le persécuter sans le moindre avantage. Après tout, que désirait le duc de Vendôme, et qu’avait-il demandé au début du ministère de Mazarin? Ou qu’on lui rendit le gouvernement de Bretagne, que lui avait destiné son père Henri IV, et que possédait son beau-père, Philibert-Emmanuel de Lorraine, ou qu’on lui donnât l’amirauté, une des plus grandes charges de l’état. Mazarin avait repoussé ces

  1. Madame de Chevreuse dans la Revue du 15 décembre 1855.