Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que malgré tous les gages de déférence que le procureur-général avait donnés à Richelieu, celui-ci dans sa prudence soupçonneuse, avant de le nommer premier président, lui demanda et en obtint une promesse écrite de sa propre main de ne jamais assembler le parlement sans un ordre exprès du roi. Matthieu Molé passait tellement pour une créature de Richelieu qu’après sa mort, et dans la tempête qui s’éleva en 1643 contre la mémoire et les partisans du terrible cardinal, il tomba en disgrâce, comme La Meilleraye, le duc de Brézé et bien d’autres, et courut risque de perdre sa charge. On parlait déjà, vu son veuvage et sa haute piété, de l’envoyer dans quelque évêché, avec l’espérance du cardinalat[1]. Dans cette critique circonstance, Matthieu Molé se conduisit avec la dignité qui était dans sa nature, et avec la prudence et l’habileté que l’expérience lui avait enseignées. Il devait trop à Richelieu pour se joindre à ses ennemis, sans se croire obligé de le défendre : il se ménagea et attendit. À mesure que Mazarin le connut, il discerna sa capacité et le releva aux yeux de la reine. Bientôt ils marchèrent à peu très de concert. Molé vit avec plaisir le parlement reprendre une juste autorité ; mais il n’était pas disposé à la mettre au service des importans, et dès lors il se montra aussi modéré que ferme, et favorable au nouveau ministre sans servilité. Voici quelques lignes de Mazarin, qui, dans leur simplicité, contiennent un bien grand éloge : « Il faut caresser le premier président ; il aime l’état, et on le peut contenter aisément[2]. » Touché de ses services, il s’avertit lui-même « qu’il faut lui faire quelque cadeau, lui accorder quelque gratification, » et il s’assure que a l’austérité de Matthieu Molé ne l’empêchera pas de recevoir volontiers les grâces que la reine voudra bien lui faire[3]. » Mazarin ne témoigne pour personne autant d’estime que pour Molé ; il l’honore sincèrement, et le sachant sans fortune et resté veuf avec beaucoup d’enfans, il entra dans les soucis du père de famille, il veilla sur les intérêts de l’abbé François

  1. Journal d’Olivier d’Ormesson, 19 septembre 1643 : « Le soir, M. Pichotel (un des greffiers du conseil d’état) nous dit que l’on parloit de faire le premier président Molé archevêque d’Auch avec promesse du chapeau de cardinal… C’est le bruit de Paris. » Mazarin répète ce bruit dans ses carnets, IIe carnet, page 24.
  2. IIIe carnet, page 12 : « Far carezze al primo présidente, affezionato suddito allo stato ; e con facilita si puol contentar. »
  3. VIe carnet, page 22 : « Donar qualche cosa al primo présidente, poichè sono certo che la sua rigidità non l’impedirà di ricevere dà S. M. Le grazie che vorrà farli. »