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comme depuis l’a prétendu l’abbé Sieyès, mais où il devait à la royauté le peu qu’il était. C’était là ce que les écrivains aristocratiques de la fronde ont appelé l’ancienne constitution de la France. Jamais la royauté ne songea à détruire une aristocratie nécessaire, et il faut bien peu connaître Richelieu pour lui imputer une telle pensée[1]. Tout l’effort de la royauté, de Richelieu, et plus tard de Mazarin était de réduire l’aristocratie féodale à une grande magistrature politique et surtout militaire, qui guidât la nation et ne l’asservît point. Et c’était dans une semblable entreprise que la bourgeoisie était venue arrêter la royauté, pour se joindre à qui? aux représentans de ceux qui jadis s’étaient opposés à son émancipation, et qui maintenant refusaient d’échanger une domination qui avait fait son temps pour une puissance bien considérable encore, mais régulière, et ne pouvant impunément fouler à ses pieds le peuple. La bourgeoisie reconnaissait que les ducs et pairs qui l’avaient appelée à la révolte avaient travaillé pour eux et non pas pour elle, que s’ils avaient employé les paroles flatteuses et les belles promesses, tandis qu’autrefois ils procédaient bien différemment, les moyens avaient changé, mais le but était le même. Elle se demandait ce qu’elle avait gagné aux longs désordres de ces derniers temps. Le travail, le commerce, l’industrie, qui faisaient sa force, avaient été interrompus. On avait mis sur elle plus d’impôts qu’il n’en eût fallu à Mazarin pour envoyer deux armées françaises à Bruxelles et à Madrid. Au lieu d’accroître ses libertés municipales, on lui avait imposé comme prévôt des marchands le vieux et incapable Broussel, et le 4 juillet on avait insulté, maltraité, massacré ses magistrats. On lui avait promis une prospérité inouïe, et elle était ruinée. Le paiement des rentes de l’Hôtel de Ville, cette épargne sacrée de la médiocrité laborieuse et économe, était depuis longtemps suspendu. La famine était dans Paris, amenée par le ravage incessant des campagnes environnantes; avec la famine étaient venues toutes les maladies et une épidémie qui décimait particulièrement les quartiers pauvres de la capitale. Elle s’était aussi demandé, cette bourgeoisie, si ces grands seigneurs, qui, sous de faux semblans, l’avaient jetée dans une sédition contraire à tous ses intérêts, avaient su diriger une affaire aussi difficile avec le concert et l’habileté qu’on avait droit d’attendre de personnages depuis longtemps accoutumés à commander. Loin de là, elle avait vu tous ces chefs de l’aristocratie divisés entre eux, intriguant les uns contre

  1. Ennemi déclaré de l’aristocratie féodale, Richelieu est en même temps un ami de la noblesse ; loin de l’abaisser, il la veut relever, mais en empêchant qu’elle n’opprime le peuple comme elle-même est trop souvent opprimée par les grands. Testament politique, chap. III, section I.