Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à contraindre tous les étrangers à abandonner le territoire français. Aussitôt que les corps de l’Hôtel de Ville surent que Mazarin était au Louvre, ils s’y rendirent tous sur-le-champ, et, « reconnoissant l’obligation que la France devoit à ses grands et illustres travaux, lui vinrent témoigner leur joie de son heureux retour[1]. » On conçoit quel accueil leur fit l’aimable et habile cardinal. Il leur prodigua les paroles bienveillantes; il fit mieux : le même jour, une ordonnance royale annonçait une mesure qui fut bénie par toute la petite bourgeoisie de Paris, le paiement depuis longtemps suspendu de la rente. Cette ordonnance « enjoignoit aux prévôts des marchands et échevins de faire ouvrir au premier jour le bureau pour le paiement des rentes, et d’y faire employer les sommes qui ont été et seront incessamment fournies à cet effet, de semaine en semaine. »

Mazarin voulut aussi que le peuple, depuis si longtemps misérable, et dont la fronde avait eu l’art de tourner les souffrances contre le seul homme qui les pût faire cesser, eût sa part de la joie commune. Pendant deux jours entiers, il fit distribuer aux pauvres d’abondantes aumônes; le soir du 3 février, des réjouissances publiques eurent lieu par ses soins et à ses frais dans les divers quartiers de Paris, et de nombreux feux d’artifice les prolongèrent pendant la nuit tout entière.

Enfin, pour ajouter à l’éclat de ce beau jour, les nombreuses nièces de Mazarin, gracieuse parure de sa puissance, qui déjà même en faisaient partie et devaient tant l’accroître, étaient arrivées à Paris par la porte Saint-Antoine. La princesse de Carignan, la maréchale de Guébriant, et d’autres dames de la plus haute distinction, étaient allées au-devant d’elles et les accompagnèrent jusqu’à l’hôtel Vendôme, où la vieille et respectée duchesse, entourée aussi d’un cortège de grandes dames, les reçut avec mille témoignages d’affection, qu’elle prodigua surtout à sa belle-fille, l’aimable et vertueuse duchesse de Mercœur. De là on les conduisit au Louvre auprès de leurs majestés, qui leur firent le plus gracieux accueil, et voulurent qu’elles logeassent au Louvre ainsi que leur oncle.

Et ce n’était pas là une journée brillante qui pût avoir ses éclipses, une de ces bonnes fortunes du sort souvent suivies de longues disgrâces. Mon, le triomphe de Mazarin reposait sur des fondemens solides. Non-seulement il voyait à ses pieds, au Louvre, tous ses anciens ennemis vaincus, mais aucun d’eux ne se pouvait relever, et toute leur force était épuisée. La bourgeoisie fatiguée avait besoin de repos, et mettait dans la royauté toutes ses espérances. Les parlemens, honteux d’avoir laissé surprendre leur

  1. Gazette pour l’année 1653, n° 18, p. 139.