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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/301

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ques phrases mélancoliques. À la première note, doña Mercedès se leva d’un pas grave, et avec la dignité d’une reine elle s’avança au milieu du salon, comme si elle sortait d’un rêve. De lointains souvenirs s’éveillaient dans son esprit ; sa respiration devenait plus pressée, et une légère rougeur colorait ses joues, qui avaient peu d’instans auparavant la pâleur transparente du marbre. Don Ignacio la regardait avec surprise, n’osant faire un mouvement dans la crainte de l’arracher brusquement à cette espèce de somnanbulisme ; sa sœur était là, debout, inquiète, les bras tendus vers elle, comme pour la soutenir.

— Doucement, se dit le docteur, la voilà qui marche… Essayons de redonner complètement la vie à cette statue si gracieuse.

D’une main rapide et exercée, il exécuta brillamment une de ces valses andalouses que les Espagnols ont portées avec eux dans les deux hémisphères. Doña Mercedès, entraînée par le rhythme de la mesure et levant sa main comme si elle l’eût appuyée sur l’épaule d’un cavalier invisible, se prit à parcourir le salon en tournant sur elle-même avec la rapidité d’un tourbillon. Puis, s’arrêtant tout à coup, elle se précipita sur son fauteuil, poussa un cri d’effroi, et retomba dans son immobilité accoutumée. Des larmes coulaient lentement de ses grands yeux, et ruisselaient comme des perles sur ses joues, qui avaient repris leur pâleur.

— Ma sœur, ma chère sœur ! s’écria doña Luisa en se jetant dans ses bras. Qu’as-tu, mi querida ? pourquoi pleurer ainsi ?

Elle essuyait les larmes de sa grande sœur, et couvrait de baisers ses froides mains ; puis, se tournant vers le docteur : — Oh ! mon Dieu, lui dit-elle, qu’avez-vous fait là ?…

— J’ai fait ce que vous m’avez demandé, señorita, répondit tout bas le docteur ; j’ai cherché à connaître de quel mal souffre mademoiselle votre sœur…

Don Ignacio, le visage coloré par l’émotion, s’était placé devant le fauteuil de sa fille. Après l’avoir considérée quelque temps, il leva ses yeux humides sur le docteur, et l’emmenant sous la galerie : — Vous êtes médecin, monsieur ? lui demanda-t-il. Eh bien ! je me confie à votre discrétion ; vous venez d’être témoin d’une triste scène,… et je mourrais de chagrin si un autre qu’un étranger, si un autre que vous, docteur, m’avait vu verser des larmes… C’est la première fois depuis trois mois que ma pauvre fille sort de sa mélancolie, et elle y retombe avec des symptômes plus alarmans encore… Sa raison est égarée !…

— Le cas est grave sans doute, répondit le docteur ; mais il n’est pas sans remède peut-être… Quand la raison s’égare, il y a presque toujours une cause…

— Ah ! si l’homme savait prévoir les causes, que de malheurs