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donnerai à mon neveu de quoi la faire rebâtir. Vous ne me connaissez pas, caballero ? Je suis la tante de don Ignacio,… et sa marraine encore !

Dona Luisa prit le bras du docteur ; sur celui de don Ignacio s’appuyait la petite tante Mariana, qui n’interrompait ses lamentations sur le négligé de sa toilette que pour admirer sans restriction la bonne mine et les manières distinguées de don Agustin : — Oh ! don Ignacio, oh ! mon neveu, disait-elle, quel cavalier accompli !… Il a pourtant fallu que la terre tremblât pour vous décider à l’accueillir !

La famille de don Ignacio s’établit comme elle le put dans les ranchos dépendans de l’habitation. Après les heures de péril, les serviteurs y revinrent à la hâte, et firent de leur mieux pour effacer par des soins attentifs le souvenir de leur fuite honteuse. La réédification de la maison écroulée ne demanda que quelques mois ; elle sortit de terre plus fraîche, plus commode qu’auparavant, grâce aux libéralités de la tante Mariana. Quand les désastres qui avaient désolé la vallée furent complètement réparés, don Agustin el Godo épousa doña Mercedès, qui n’avait gardé de sa mélancolie passée qu’une fierté rêveuse et distraite. Le jeune couple alla s’établir à la capitale ; ils n’avaient de goût ni l’un ni l’autre pour la vie des champs. Don Ignacio se réconcilia avec son neveu don Ramon, bien qu’il fût devenu l’époux d’une Goda. Il l’accueillit, ainsi que sa jeune femme ; mais il ne put jamais se décider à les retenir plus d’un jour sous son toit. Par un reste de rancune contre les salons de Santiago, il continua de vivre à la campagne avec sa fille Luisa, et la bonne tante Mariana vint se fixer auprès d’eux.

Tandis que l’heureux don Agustin présentait sa belle Mercedès dans les cercles les plus brillans de la capitale, son ami et confident, le docteur Henri, ballotté par les tempêtes du cap Horn, faisait route pour l’Europe. Le tremblement de terre dont il avait suivi les phases diverses au milieu d’une vallée, à quelques lieues de la mer, devait changer sa destinée. En rentrant à Valparaiso, il avait trouvé des blessés à soigner, tant parmi les équipages des navires jetés à la côte que parmi les habitans des maisons écroulées. Plus heureux que bien d’autres bâtimens de toutes les nations, le Méridien en avait été quitte pour de légères avaries ; son départ ne fut retardé que de quelques semaines. Cette relâche avait fourni au docteur l’occasion de se rendre utile de plus d’une manière, de se faire connaître et aimer dans le pays ; il ne s’en éloigna donc qu’avec regret. Tout en se rapprochant de l’Europe, il se reportait par la pensée vers cette côte du Chili, que l’on ne quitte pas sans tristesse, tant elle est imposante, grandiose et souriante aussi. À travers ses