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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/337

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libérés et rentrés dans le sein de la société, mais avec une tache originelle, forment au-dessous une couche d’année en année plus large, d’où provient la majeure partie de la population actuelle. Enfin les convicts composent une troisième classe, qui naturellement est tout à fait distincte des deux autres. Voici quel a été à leur égard le système employé dès l’origine, lequel est encore en vigueur : en arrivant dans la colonie, ceux d’entre eux qui ont les moins mauvais antécédens, ou dont la conduite a été la meilleure pendant la traversée, sont assignés comme serviteurs aux colons. Ceux-ci leur doivent la nourriture, le vêtement, le coucher et des soins hygiéniques. Il est interdit de leur allouer aucune rétribution, leur ration journalière est fixée légalement; en outre, les maîtres donnent, si cela leur plaît, à ceux dont ils sont contens du thé, du sucre et du tabac. Les heures de travail sont également réglées. Tous les ans, les maîtres sont tenus d’adresser à l’administration un rapport circonstancié sur le travail et la conduite des convicts à leur service. Le règlement porte aussi qu’ils doivent tendre de tout leur pouvoir, par l’exemple et les conseils, à l’amélioration morale de ces hommes; le dimanche, il faut les conduire à l’église, ou, si la distance pour s’y rendre est de plus de deux milles, leur lire des prières et leur faire une exhortation chrétienne.

Il y a une catégorie de condamnés qui jouit de plus de liberté, ceux qui, au bout d’un certain temps de travail chez les colons ou dans les ateliers du gouvernement, ont obtenu le laissez-passer, ticket of leave. Ouvriers ou cultivateurs, ils emploient leur temps à leur profit; placés sous la surveillance de la police, ils sont seulement tenus de répondre à un appel que fait le magistrat à l’église tous les dimanches. Voici à quelles conditions s’obtient cette faveur : selon la durée de la peine, fixée à cinq, sept, quatorze années, ou enfin pour la vie, le condamné doit servir pendant quatre, cinq, six et huit années. Les individus dans cette condition n’ont pas le droit d’acquérir des propriétés, et ils ne peuvent ni poursuivre ni être poursuivis en justice. Beaucoup d’entre eux se font constables et surveillans. Délivrés des obligations du ticket par l’expiration de leur peine, ils rentrent dans la jouissance de tous les droits civiques, et c’est ainsi que nombre de convicts, leur crime expié, ont acquis souvent de grandes fortunes. Plusieurs d’entre eux ou leurs enfans comptent parmi les plus riches propriétaires de la Tasmanie. Une ligne de démarcation ne les en sépare pas moins des free men, le préjugé subsistant contre eux est presque aussi fort que celui qui sépare les blancs des noirs aux États-Unis, et la fille d’un convict, si gracieuse, si bien élevée, si riche qu’elle soit, trouve difficilement un mari dans la classe libre de la colonie.

Les statistiques attestent que parmi les hommes qui subissent