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chevaux à des gens qui ont bien dîné! » Après cette visite, Chasot se trouva plus riche qu’il n’avait jamais été. Chaque jour, le prince royal lui envoyait un palefrenier avec un cheval de main pour se rendre chez lui et l’accompagner dans ses courses. La sympathie, on le voit, existait déjà de part et d’autre; le temps et les circonstances allaient se charger du reste.


I.

Au printemps de l’année 1735, on se préparait des deux côtés du Rhin à une nouvelle campagne. L’armée française, sous le commandement supérieur du maréchal de Coigny, avait son quartier-général à Spire. Au mois de juin, le prince Eugène rejoignit les troupes impériales et s’établit à Heidelberg. Néanmoins les premiers mois s’écoulèrent sans engagemens sérieux, et ce ne fut guère que vers le milieu d’août que le commandant en chef de l’armée impériale fit mine de se vouloir mettre en mouvement pour le combat.

Cependant le prince Frédéric, installé à Ruppin, suivait de là tout ce qui se passait sur le Rhin, avec quel intérêt fiévreux, on le devine. Frédéric guettait de l’œil les événemens, espérant, au premier coup de canon, obtenir le congé de son père pour voler en personne dans les rangs de l’armée impériale, où le prince Léopold de Dessau s’était déjà porté! « A la fin des fins, écrit-il à sa sœur la margrave de Baireuth à la date du 3 juillet, le roi m’a accordé la permission de faire la campagne. Je compte de partir entre ci et quinze jours. » Toutefois sur ces entrefaites Frédéric-Guillaume changea d’avis, se refusant à croire, en dépit des mille bruits qu’on répandait, que rien de sérieux fût au moment de se passer sur le Rhin, et trouvant qu’il ne convenait pas à un prince royal de Prusse d’assister l’arme au bras à l’inaction forcée des impériaux. Pour le dédommager tant bien que mal de cette campagne manquée, le roi proposa à son fils un voyage d’agrément à travers la Prusse. Frédéric, auquel ce plan souriait peu, l’accepta cependant à la condition de s’adjoindre, en qualité de compagnon de route, le chevalier de Chasot, dont l’esprit, la vivacité, l’humeur aventureuse et fantasque, avaient charmé naguère les longs mois d’hiver passés en garnison à Ruppin. Le but de ce voyage, qui ne devait pas se prolonger au-delà de cinq ou six semaines, était d’inspecter les régimens, d’étudier sur les lieux l’administration et de se rendre compte des réformes devenues nécessaires pour couper court à un état de choses de jour en jour plus déplorable. Le prince s’acquitta de cette mission avec un zèle et une intelligence qui remplirent de joie le cœur de son père, lequel approuva toutes les mesures prises par Frédéric et l’assura « du parfait con-