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descendait dans l’entière sécurité de la victoire, tels furent les résultats de cette charge héroïque des dragons de Baireuth. Quelques heures après, Frédéric s’écriait en traçant le bulletin de la journée : « Action inouïe dans l’histoire, et dont le succès est dû aux généraux Gessler et Schmettau, au colonel Schwerin, et au brave major Chasot, dont la valeur et la conduite se sont fait connaître dans trois batailles également. » Ce fut le plus beau moment de la gloire et de la faveur du chevalier. A dater de ce jour, que Frédéric appelait le plus décisif de sa fortune, et auquel Chasot en présence de toute l’armée avait pris une part si active, le chevalier porta l’aigle de Prusse dans ses armes, et le roi s’apprêtait à le nommer colonel de son régiment de Baireuth, lorsqu’une fâcheuse affaire vint se mettre en travers de sa carrière et pour un temps du moins couper court à ses espérances.

Il y avait aux dragons de Baireuth un officier du même grade que Chasot, Polonais de naissance, et nommé Stanislas de Bronickowski. Cet homme, grand, beau, taillé en hercule, avec cela d’un tempérament impraticable, passait pour l’un des plus féroces duellistes de l’armée et professait en outre une souveraine répulsion à l’égard de tout ce qui portait un nom français. À ce seul titre, M. de Chasot lui déplaisait infiniment, et pour s’attirer la haine de ce farouche bourreau des crânes, le jeune chevalier n’aurait pas même eu besoin de tant se distinguer. Ici les actions d’éclat étaient un luxe véritablement inutile ; la qualité de gentilhomme français suffisait. Plusieurs fois, à propos d’affaires de service, on avait essayé d’escarmoucher, mais sans résultat, et c’était toujours partie remise, au grand mécontentement de Bronickowski, dont la sourde animosité ne désarmait pas. Cependant, comme en pareil cas il ne s’agit que de bien vouloir, l’occasion dépend toujours plus ou moins de celui qui la cherche, et notre homme finit par avoir sa rencontre. Laissons Chasot nous donner lui-même le détail de l’aventure dans un passage de ses mémoires.


« La paix ayant été signée à Dresde le 25 décembre, le régiment de Baireuth, dont le général Schwerin reprit alors le commandement, se mit en marche, et M. de Schwerin eut l’attention que l’escadron du major en question ne se trouvât jamais avec le mien dans le même village. Ce ne fut qu’à Pasewalk que ces mêmes escadrons ne purent éviter de se rencontrer et de passer la nuit. Le lendemain, il y eut un picnic en l’honneur des dames du régiment. Le major en question, étant de la garnison de Pasewalk, voulut aussi être du picnic, où il se comporta mal, ne nous entretenant que de ses prouesses, de l’ancienneté de sa famille, de sa force et de tous ceux que sa valeur avait envoyés dormir à l’autre monde, et finissant par insulter toute la compagnie l’un après l’autre, ce qu’il continua jusqu’à minuit. Il me fit