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points du globe : long travail, mais quel intérêt il présente! Cette correspondance, c’est la vie, c’est le mouvement de l’humanité, c’est le monde enfin, le vaste, vaste monde, the wide, wide world, comme dit le romancier anglais. La ville est déserte; nul travail d’idées, aucun de ces mouvemens d’opinion dont le journal est l’organe; qu’importe? De Londres et de Paris, de Rome et de Saint-Pétersbourg, de Berlin et de Vienne, de New-York et de Washington, de l’Amérique du Sud et du fond de l’extrême Orient, tous les matins, cent lettres viennent les trouver dans leur solitude, et le tableau de la grande association humaine se déroule à leurs yeux. Quand je les voyais, ces laborieux cénobites, si calmes au milieu de l’agitation des intérêts et des idées, lisant, comparant, faisant des extraits, et donnant ainsi jour par jour un des plus curieux recueils d’informations qui existent, je ne pensais plus à leur isolement, j’oubliais les ennuis de leur tâche; volontiers je leur eusse porté envie. Mais qu’on se figure les critiques obligés de dépouiller minutieusement de mois en mois la correspondance poétique de la Prusse et de l’Autriche, de la Bavière et de la Saxe, de tous les royaumes, de tous les duchés et de toutes les villes libres de l’Allemagne : voilà ceux qu’il faut plaindre, voilà les malheureux qui accomplissent un travail sans relâche au milieu d’un isolement glacial. Goethe avait dit, à propos de certaines poésies intimes, que tout journal poétique composé par le premier venu offrirait une lecture attachante, pourvu qu’il fût écrit naïvement, avec franchise et simplicité. Hélas! combien de rêveurs, d’un bout à l’autre des contrées germaniques, ont pris à la lettre ces paroles du maître! Que de pauvres âmes, sans avoir vécu, ont eu la prétention de raconter leur vie! Chacun a révélé ses sentimens, ses ennuis, ses souffrances, ses désirs, et ainsi se multiplient chaque année encore de puériles confidences que des plumes trop scrupuleuses enregistrent avec une régularité exemplaire.

Tant pis pour les critiques, dira-t-on; ils n’ont pas le droit de se plaindre. Que ne se taisent-ils? Pourquoi n’emploient-ils pas leur zèle à de plus sérieuses études? Tant qu’ils prêteront l’oreille à ces chansons, le concert n’est pas près de finir. — Eh ! sans doute, c’est là qu’est le mal; mais comment le leur persuader? Les critiques dont je parle sont gens débonnaires et confians. Les uns sont touchés de cette persistance d’illusions chez les innombrables chanteurs; les autres, se souvenant des paroles de Goethe, espèrent toujours trouver un poète dans cette fourmilière : tous d’ailleurs savent que ces vers ont été écrits pour eux, que ces volumes sont à leur adresse, et que si le Recensent ne les lisait pas, personne n’y toucherait. Si un seul d’entre eux, modifiant le chiffre de Mirabeau, s’écriait :