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venger ses frères, et qui en effet, après avoir tué Atjem, enlève son fils Titulan et sa fille Alita. L’auteur, qui a vu le désert et qui prétend ne donner ici qu’un très fidèle résumé de ses notes de voyage, consacre tout un volume à ces scènes de tuerie. Le roman nous transporte ensuite à Naples et à Rome ; les enfans du cheik Atjem, arrachés à la vengeance de Zerga, ont passé aux mains d’un gentilhomme espagnol qui les a fait élever avec un soin paternel. L’histoire du Sahara et l’histoire de l’Italie vont ainsi être mêlées de la plus étrange façon ; le fils du cheik deviendra jésuite, ce jésuite jouera un rôle dans la révolution romaine ; le roi de Naples et M. Delcaretto, le pape Pie IX, le comte Rossi, le chef populaire Cicervacchio, le prince Ruspoli, Mazzini, bien d’autres encore, seront associés aux aventures des enfans d’Atjem. Rome et le Sahara, tel est le titre de cette fantasmagorie[1]. Assurément ce n’est pas sur de telles œuvres qu’il faut juger l’imagination allemande ; puisqu’il y a cependant toute une classe de romans de cette nature, il faut bien en signaler au moins un. L’auteur de celui-ci a beau porter un nom inconnu, il n’est pas absolument sans valeur. Il est évident qu’il a vu de près les révolutions italiennes de 1848, et quand il se borne à retracer des souvenirs au lieu de se livrer à ses combinaisons de mélodrame, il excite parfois l’intérêt. Quelle que soit d’ailleurs l’absurdité d’une telle composition, il s’est trouvé des critiques pour la discuter. Sans exagérer ces épisodes de l’histoire littéraire contemporaine, il convient peut-être de ne pas les dissimuler tout à fait.

On doit répéter à plusieurs écrivains, romanciers ou poètes : Soyez plus hardis, ayez confiance en vous, osez peindre l’homme et la société de votre époque. Combien d’autres à qui il faudrait dire : Soyez modestes ! Soyez modestes, c’est-à-dire, si l’imagination vous manque et que vous vouliez absolument écrire un roman, appuyez-vous sur l’histoire, sur la biographie, ou bien inspirez-vous de vos souvenirs de voyage. C’est ce qu’a fait M. Heribert Rau lorsqu’il a composé l’estimable roman dont le héros est Mozart[2]. Le roman est devenu ainsi pour certaines intelligences studieuses une sorte d’appendice à l’histoire de la littérature et de l’art ; Milton, Schiller, d’autres encore, ont trouvé dans ces derniers temps de libres biographes qui ont essayé de les replacer au milieu des hommes et des choses de leur siècle. C’est là un genre inférieur sans doute, mais qui exige pourtant bien des qualités : une connaissance précise du sujet, de la sagacité, de la mesure, et qui, traité avec talent, peut rendre

  1. Rom und Sahara, von Hans Wachenhusen ; 4 vol. Berlin 1858.
  2. Mozart. Ein Künstlerleben. Culturhistorischer Roman, von Heribert Rau ; 6 vol. Francfort 1858.