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conte en homme. Ce récit n’est que l’écho d’un soupir, l’ombre d’une ombre, et quand on a lu ces gracieuses pages, on se demande ce que l’auteur s’est proposé. Le temps des rêves et du somnambulisme est passé; on ne persuadera pas aux générations nouvelles que le génie de l’Allemagne est là. A l’Amour allemand du conteur anonyme j’oppose les Rêves allemands de M. Louis Steub[1]. Voilà une œuvre piquante, originale, non pas toujours réussie comme on le voudrait, mais hardiment osée. Le roman satirique, humoristique, est à peu près inconnu chez nos voisins, ou du moins les œuvres de ce genre, consultées seulement par les historiens littéraires, ont laissé peu de traces dans le souvenir du pays. M. Louis Steub a essayé d’écrire un roman satirique dont le but est de harceler l’Allemagne, de lui rappeler amèrement ce qu’elle a voulu, ce qu’elle a rêvé en politique, et ce qu’elle est impuissante à réaliser. Nous voici encore dans une petite principauté, et c’est aussi de songes enfantins qu’il s’agit : seulement nos jeunes songeurs ne sont pas amoureux de la fille du prince, ils sont amoureux de la patrie allemande. Enivrés de leurs lectures d’histoire, des écoliers l’établissent en imagination la grande Allemagne du saint-empire, l’Allemagne des Othon et des Hohenstaufen. Ils jouent aux soldats, aux chevaliers; ils partent pour maintes expéditions avec les empereurs souabes. Plus tard, les écoliers deviennent des hommes, les jeux se transforment en passions viriles, et les rêveurs allemands veulent reconstruire l’Allemagne. Le contraste de leurs prétentions et du petit théâtre où elles s’agitent produit une impression douloureuse et comique. Ne cherchez pas sur la carte les deux principautés où M. Steub a placé son roman: Schnufflingen, Schnauzlingen, voilà les états rivaux que les patriotes germaniques s’apprêtent à bouleverser de fond en comble pour accomplir les grandes choses qu’ils ont rêvées. Rien de plus divertissant que cette tempête dans un verre d’eau. La lutte des deux cabinets, l’échange des notes diplomatiques, les manifestes des journaux officiels, l’attitude importante des fonctionnaires, l’air effaré des bourgeois, et au milieu de ces caricatures, trois francs étourdis essayant de mettre le feu à des poudrières qui n’existent pas, ce sont là autant de tableaux excellens où se déploie la verve humoristique du conteur. Malheureusement l’unité manque à cette peinture : à côté des scènes bouffonnes, il y a des scènes d’un ton tout différent, et l’esprit du lecteur, un peu déconcerté par ces disparates, ne sait plus s’il assiste à une allégorie satirique ou à une tragédie. Pour mêler ainsi le rire et les larmes, les bouffonneries et le sang, il faut plus d’art que n’en a montré M. Steub. N’importe,

  1. Deutsche Träume. Roman von Ludwig Steub; 1 vol. Brunswick 1858.