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une charrue d’Etienne. Une seule charge hii est imposée. — Tu te posteras, dit le domnu, au sommet du coteau :


« En sentinelle vigilante, — et à la vue des hordes de Tatars — qui envahiraient le pays, — tu crieras de toute la force de ta voix : — « Alerte ! Etienne, aux frontières! — Alerte! voici l’ennemi !... » — A ta voix, à ton cri de guerre, — je me lancerai comme un zméou, — et du Tatar sur la terre moldave — il ne restera pas même de traces. »


Un des écrivains les plus distingués de la Moldavie, M. Negruzzi, a aussi cherché un sujet de poème dans cette invasion magyare de 1486, qui se termina par la glorieuse journée de Romano. Il a célébré dans Movila un autre Roumain, qui a dû la faveur d’Etienne à une intrépidité exceptionnelle. A peine Etienne avait-il écrasé l’armée ottomane à la bataille de la Vallée-Blanche qu’il fut obligé de se tourner contre le général magyar Kraïot, qu’il atteignit dans la plaine de Romano (6 mars IZ186). Les premiers feux du précoce printemps de la Roumanie resplendissaient sur la brillante armée moldave. Le vornik (maire et préfet) Boldur était à la tête de l’infanterie, le paharnik (échanson) Costa commandait la cavalerie; les troupes étaient animées d’une belliqueuse ardeur. Les trabanti (hallebardiers), aux longs cheveux tressés et pendant jusqu’aux reins, brandissaient leurs armes; les séiméni (archers), vêtus d’une courte jaquette, agitaient leur longue massue. Le soleil faisait étinceler les arquebuses des armasi (fusiliers), les casques ailés des pantziri (gendarmes), et les cottes de mailles dont étaient couverts, ainsi que leurs chevaux, les redoutables lefedgi (dragons). La multitude des mosneni (propriétaires non nobles) s’avançait sous les ordres des boyards revêtus d’habits brodés d’or, de dolmans aux riches fourrures, et dont le large cimeterre sortait du fourreau en velours rouge. Etienne était à cheval au milieu des pages et des aprodi (hérauts) à qui était confié le drapeau qui porte le « signe formidable, » la tête du taureau des Karpathes, l’antique Urus adoré par les Daces.


« Le vieil étendard de la Moldavie flotte devant lui. — A ses côtés se dresse le vétéran de toute l’armée, — le hetman Arbure, qui en main porte cette terrible masse — qu’il lançait jadis comme un enfant une balle, — et qu’aujourd’hui le bras le plus robuste pourrait à peine remuer; — d’autre arme, il n’en a point, il n’en a pas voulu, — car il aime à écraser son ennemi d’un seul coup. »

Lorsque les deux chefs ont harangué leurs troupes, le boutchoum (trompe en bois de cerisier) donne aux Roumains le signal de l’attaque. La mêlée est affreuse. Kraïot cherche Etienne, tandis que le prince moldave est avide du sang de Kraïot.