Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/492

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raissait un peu vive pour un historien et pour un ministre. De là sans doute bien des craintes spécieuses et de fâcheux pronostics.

Savez-vous quel est le moment où ces craintes ont été démenties, et la portée de la réforme justement appréciée? C’est lorsque dix ans après ce bill de réforme si laborieusement débattu pendant deux sessions, voté par une chambre nouvelle, subi avec une résignation calculée par la pairie, on vit la force des choses, l’intérêt anglais bien compris, ramener au pouvoir Robert Peel et lord Aberdeen lui-même. C’était bien là que pouvait se reconnaître le génie même de la constitution anglaise, l’esprit de libre examen et de libre débat, et par suite l’ascendant inévitable du talent et des lumières. Robert Peel avait été non pas seulement le martyr, mais l’adversaire opiniâtre autant que mesuré du bill de réforme. Il en avait nié la nécessité, il en avait attaqué les applications étendues, il y avait signalé quelques contradictions et quelques insuffisances; puis, quand à force de rames et de bras le nouvel esquif fut à flot, il monta dessus en pilote habile, et dans le premier parlement reformé, telle fut sa vigoureuse et habile conduite, parfois son adhésion indépendante, plus souvent sa ferme et sage opposition, que dix ans après sa chute il revenait à la tête du ministère par droit de discussion, aux applaudissemens d’une nouvelle chambre des communes (30 août 1841).

Il y revenait pour cinq ans, et s’il dut tomber alors, sans la fatalité qui plus tard abrégea sa vie, on peut le croire, la vicissitude des incidens politiques, combinée avec la puissance du talent, l’eût relevé de nouveau sur le terrain du débat public, pour gouverner encore une fois par l’art habile de modifier à propos sa politique et de s’approprier ce qu’il vaut mieux corriger que combattre.

Une seconde preuve de cette même vérité et un nouvel argument à l’appui de la différence entre les deux réformes, c’est le ministère actuel de lord Derby, le nom même de cet homme d’état, les souvenirs de sa glorieuse carrière dans la chambre des communes, sa situation présente dans celle des lords. Le noble et brillant orateur du tory sine modéré, celui qu’il y a vingt ans la chambre des communes admirait sous le nom de Stanley, aujourd’hui renouvelé pour elle avec tant d’éclat, lord Derby, fera maintenant à la chambre des lords ce que lord Grey entreprenait en 1831 et 1832. Il appuie le nouveau bill électoral. Est-il à croire qu’il trouvera les mêmes résistances que son devancier à cette première épreuve, qu’il suscitera les mêmes combats, qu’il aura besoin de recourir à des prophéties comminatoires, ou, ce qui serait pis encore, à une création nouvelle de pairs, à ce débordement qu’en 1832 lord Grey montrait à demi suspendu, et détournait cependant de toute sa force? Rien de pareil à l’horizon, rien de semblable entre les deux époques. En 1831, la réforme parlementaire du royaume-uni était une secousse encore