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qu’a le gouvernement anglais d’approuver ou de rejeter les lois que votent les Iles-Ioniennes est partout conservé; la confusion faite par la constitution de Thomas Maitland entre le droit du protectorat, qui émane du traité de 1815, et le droit de souveraineté, qui n’émane que de la volonté législative du peuple ionien, cette confusion, qui est grave, n’est nulle part corrigée.

Il y a plus : il ne semble pas que les Ioniens veuillent mettre la question sur ce point. Ils demandent l’abolition du protectorat anglais et par conséquent la réforme du traité de 1815; ils demandent leur réunion au royaume de Grèce, mais ils ne paraissent pas, quelque justement épris qu’ils soient de leur nationalité hellénique, vouloir la retrouver par l’autonomie de leur état tel qu’il est constitué par le traité du 5 novembre 1815. Ils mettent, par l’abolition du protectorat, la question entre eux, l’Angleterre et l’Europe, au lieu de la concentrer, par la revendication de leur autonomie, entre eux et l’Angleterre.

Tant que rien ne se fera dans le parlement ionien qui ne doive être approuvé par le gouvernement, c’est-à-dire par le parlement anglais, les Iles-Ioniennes sont une colonie anglaise: voilà ce qui est évident à nos yeux; mais ce qui n’est pas moins évident, c’est que ce n’est pas le traité du 5 novembre 1815 qui a constitué cet état de choses, c’est la constitution de sir Thomas Maitland, c’est un acte de la volonté législative des Ioniens. La question de nationalité n’est donc pas seulement, à nos yeux, dans l’annexion au royaume de Grèce, elle est dans la revendication de l’indépendance du parlement ionien. Elle n’est pas dans l’abolition du protectorat anglais créé par le traité de 1815, elle est dans le retour à ce protectorat, limité en même temps que créé par le traité. Ce sont les Ioniens eux-mêmes qui ont étendu et agrandi ce protectorat, qui en ont fait une souveraineté; c’est à eux de le restreindre et de le ramener à sa nature primitive. En demandant à l’Angleterre de demander à l’Europe la réforme du traité de 1815, les Ioniens se préparent contre eux une fin de non-recevoir qui peut durer longtemps. L’Angleterre peut leur dire longtemps ce qu’elle leur dit aujourd’hui : « Je ne puis pas faire seule ce que vous me demandez, et je ne veux demander à personne la faculté de le faire. » En réclamant au contraire de l’Angleterre la réforme de la souveraineté établie par la constitution de sir Thomas Maitland et le retour au protectorat de 1815, les Ioniens demandent à l’Angleterre ce qu’elle a le droit de faire. La question n’est plus qu’entre les Anglais et eux : l’Europe n’y est plus pour rien.

C’est avec une grande défiance de moi-même que je pose la question de nationalité autrement qu’elle n’est posée en ce moment aux