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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/550

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A l’individu qui gagne son pain à force d’activité et de fatigue, il paraîtra d’abord étrange que l’épargne, fonction négative et inerte en apparence, soit classée au rang du travail actif et récompensée au même titre. C’est que, dans l’esprit du vulgaire, l’idée de capitalisation se confond toujours avec celle de richesse. Pour l’observateur attentif, il n’en est pas ainsi. Les gens assez riches pour que l’économie ne leur coûte aucun effort n’existent qu’à l’état d’exception, et quant à ces grands capitalistes qui font tant d’envieux, ils ne sont pas autre chose que des industriels ayant l’agréable et lucrative spécialité d’utiliser les petites réserves. En réalité, les nations s’enrichissent et se perfectionnent bien moins par la thésaurisation de quelques familles opulentes que par les imperceptibles épargnes de la multitude. Le paysan qui amasse pour défricher un coin de terre, l’ouvrier qui parvient à acheter des outils pour s’établir, le bourgeois qui limite ses dépenses personnelles pour faire de son fils un citoyen instruit et utile, l’humble employé qui fait des placemens pour que sa vieillesse ne soit pas sans dignité, voilà, sans qu’ils s’en doutent, les vrais créateurs de la puissance sociale. Mais ce service rendu à la communauté, croit-on qu’il s’accomplisse sans effort et qu’il soit sans mérite? Certes dans cette résistance à la tentation de dépenser, dans cette persévérance à lutter contre la fantaisie, quelquefois même contre un désir légitime, il y a un travail moral souvent plus pénible que le travail des bras, et quand c’est au sein d’une famille pauvre qu’on se prive ainsi en vue de l’avenir, on pourrait bien répéter ce que Montaigne a dit de la continence : « Je ne connais pas de faire plus actif ni plus vaillant que ce non-faire. »

Tout travail industriel opéré avec continuité, même celui qui consiste à économiser, exige un effort, une peine, une certaine violence faite aux entraînemens de la fantaisie : ce fait sera généralement admis, à moins qu’il n’existe encore quelques-uns de ces utopistes qui avaient rêvé le travail attrayant. L’homme est donc sollicité en sens contraires par deux forces divergentes, le besoin qui le pousse au travail et le désir d’échapper à cette peine que le travail occasionne. Le balancement de ces deux forces dans la machine humaine y joue le rôle du pendule qui imprime et règle le mouvement. Il en résulte une disposition naturelle exprimée par la formule dont M. Courcelle-Seneuil a fait son principe générateur.

Il y a eu dans les écoles de longues controverses au sujet des agens naturels ou forces productives. Quelques théoriciens ramènent tout au travail. M. Courcelle-Seneuil reconnaît seulement deux forces : la terre, considérée comme foyer naturel d’élaboration (vis naturœ), et le travail humain appliqué à la transformation, au trans-