Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

œuvre commencée depuis les temps les plus anciens, poursuivie sans relâche à travers toute sorte de vicissitudes et de révolutions, et cependant qu’elle est peu avancée ! La lumière s’est faite si lentement dans les esprits, que ce droit de propriété, tel qu’il est consacré par notre code civil, n’a été formulé qu’en 1793 par la convention nationale, et que la liberté des échanges internationaux vient seulement d’être admise par l’Angleterre à l’état de maxime gouvernementale. Ajoutons que chez ces deux peuples précurseurs la théorie n’est pas toujours d’accord avec les faits. En ce moment même, une expérience des plus périlleuses s’accomplit en Europe: si elle échoue, la plus nombreuse des familles chrétiennes, un empire de premier ordre par sa richesse et sa puissance, s’affaissera sans doute sur lui-même en proie à de terribles convulsions. De quoi s’agit-il donc? Est-ce qu’un novateur imprudent prétend réaliser des idées incomprises, quelque utopie suspecte? Non. On s’est aperçu en Russie que la population esclave faiblissait au détriment de la vitalité nationale. On veut lui rendre du ton au moyen d’un peu de liberté. Les paysans russes vont rentrer dans la propriété de leurs personnes, et prétendre, s’ils travaillent utilement, à la propriété de ce qu’ils auront gagné. Voilà ce qui cause tant d’admiration sympathique et aussi tant d’appréhensions! L’Europe chrétienne en est encore là!

Résumons en peu de mots ces données de l’histoire, pour arriver à définir nettement le rôle et la portée de l’économie politique.

L’activité humaine, appliquée à la création des produits matériels nécessaires à l’existence des sociétés, présente dans son développement historique quatre phases bien distinctes :

1° L’âge primitif des castes ou du patriarcat, durant lequel une autorité souvent tutélaire ordonne souverainement le travail;

2° L’esclavage gréco-romain, où l’homme fort asservit l’homme faible pour le faire travailler à son profit : régime plus violent que le précédent, et cependant progressif, parce qu’il est plus fécond, en raison de la faculté d’initiative restituée aux individus libres;

3° L’âge féodal, où le travailleur appartient non plus à un autre homme, mais au domaine qu’il s’agit de féconder, à la fonction qui doit être accomplie dans un intérêt social. Ici le progrès est encore plus marqué, car l’homme de corvée, étant d’ordinaire libéré envers son maître au moyen de certaines redevances, commence à être intéressé à l’augmentation du produit. C’est d’ailleurs pendant cette phase que l’ouvrier des fabriques échappe aux liens de la servitude.

4° L’âge moderne, où les peuples, dans leurs efforts tumultueux pour conquérir la liberté politique, brisent les principales entraves qui comprimaient l’activité industrielle. On est ainsi conduit à une