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tôt, l’opinion n’était plus à beaucoup près aussi favorable au premier consul que trois ans auparavant, l’esprit de servilité chez les uns, le découragement et l’indifférence chez les autres avaient fait de tels progrès, qu’aucune résistance sérieuse n’était plus possible; mais Bonaparte rencontrait dans sa famille et dans son propre caractère des difficultés, des complications qui le tenaient encore en échec.

Les détails que nous donne M. Miot sur cette phase de l’histoire napoléonienne sont, sans contredit, la portion la plus curieuse et la plus neuve de son livre. Ce n’est pas dans l’exercice de ses fonctions officielles qu’il a puisé ces précieuses informations; ce n’est pas non plus dans ses rapports personnels avec le premier consul : ces rapports avaient depuis longtemps cessé d’être confidentiels et fréquens. Il s’était lié au contraire de la manière la plus étroite avec Joseph Bonaparte, dont les idées et les sentimens n’étaient pas sans analogie avec les siens. Comme M. Miot, le futur roi de Naples et d’Espagne était profondément pénétré des idées du XVIIIe siècle. Il se croyait philosophe, libéral, et il l’était dans une certaine mesure, autant qu’on peut l’être avec une grande facilité de principes et de mœurs. Sa nature était bienveillante; ses idées de philanthropie et d’humanité contrastaient avec celles de son terrible frère. Il aimait la conversation des gens d’esprit; il cherchait à s’entourer des hommes qui, en d’autres temps, s’étaient signalés par leur amour pour la liberté, et qui se ralliaient volontiers à lui parce qu’ils n’étaient pas obligés, pour lui être agréables, d’abjurer leurs anciens principes, un peu aussi parce que sa petite cour, où figuraient les Girardin, les Jaucourt, les Rœderer, avait encore, au milieu de l’asservissement général, une légère apparence d’opposition.

Parmi les personnages qui se groupaient ainsi autour de Joseph dès l’époque du consulat, M. Miot était, sinon un des plus considérables, au moins un des plus intelligens, des plus dévoués, de ceux qui lui inspiraient la plus entière confiance. Il s’entretenait librement avec lui non-seulement des affaires de l’état, mais encore des dissentimens qui commençaient à troubler la famille du premier consul, et qui devaient devenir plus profonds à mesure que la fortune la porterait plus haut. Déjà le premier consul était à peu près brouillé avec celui de ses fières qui avait le plus de capacité et d’énergie, avec Lucien, dont M. Miot peint le caractère des couleurs les plus défavorables, mais qui, quels que fussent ses motifs et ses aspirations, eut au moins le mérite bien rare alors de ne pas plier sous le despotisme. Comme M. Miot, causant un jour avec Joseph de l’avenir monarchique qui se préparait, lui témoignait sa surprise de le voir encore dans la position d’un simple particulier, et l’engageait à ne rien négliger pour se mettre en mesure d’appeler sur lui l’attention publique, d’obtenir des distinctions et des emplois qui le