Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en poudre, de l’anéantir. Qu’il s’avise de faire la mine à son dîner, et il aura une belle homélie sur la tempérance. Il faut entendre alors le panégyrique du gigot froid! Que s’il s’est permis de prêter à un ami le parapluie de famille, ou d’aller seul à la foire de Greenwich, s’il s’est impatienté contre une chemise à laquelle manquait un bouton, s’il prétend à une clé du logis qui lui permette de rentrer à l’heure où il voudra, s’il se permet d’intervenir dans le choix d’un parrain pour son dernier né, s’il met en question l’opportunité des lessives domestiques, s’il a été salué en pleine rue, et au bras de mistress Caudle, par une femme plus jeune et plus jolie qu’elle… Mais au fait écoutons cette fois la Curtain’s Lecture.


«… Pour me voir insultée chaque fois que je sors, monsieur Caudle, eh bien ! autant vaut rester toute ma vie au logis… Quoi?… que je vous laisse au moins une soirée de repos?… Voilà qui est un peu fort!… Certainement il ne m’arrive pas souvent de sortir à votre bras;… mais il est dur que je ne puisse le faire sans voir ainsi fouler aux pieds tous mes sentimens… Il y a des femmes bien effrontées!… Ce que je radote?… Oh! vous le savez très bien, M. Caudle… Il faut n’être pas grand’chose pour faire ainsi des signes à un homme quand il se promène avec sa femme… Vous dites que c’est miss Prettyman?… Eh bien! après?… Que m’est, à moi, miss Prettyman?… Vous l’avez rencontrée une ou deux fois chez son frère… Oui-da, et plus souvent aussi, je m’en doute… Je m’étais toujours demandé ce qui vous attirait par là… Maintenant je le sais de reste… Oh! monsieur Caudle, pas de grands bras et pas tant de bruit… Innocent comme l’enfant qui vient de naître, n’est-ce pas?… Je ne suis plus dupe de ces belles protestations… Autrefois, à la bonne heure… J’avais la niaiserie d’y croire. A présent. Dieu merci! je sais à quoi m’en tenir.

« L’effrontée!… Pensez-vous que je n’aie pas vu comme elle riait tout en vous envoyant ce petit signe de tête? Je devine assez ce qu’elle pensait, et comme elle m’avait en pitié!… Oh ! vous me voudriez aveugle, n’est-il pas vrai? mais je jouis encore de toutes mes facultés… Croyez-vous, par exemple, que je n’aie pas vu le blanc dont elle est plâtrée?… Vous ne l’avez pas vu, dites-vous? C’est tout simple, mais je l’ai vu, moi… Et vous prétendez que je l’ai fait rougir?… Comme si la rougeur paraissait à travers toute cette peinture… Non, monsieur, non, je ne suis pas sans cesse à médire… Vous pouvez vous lever si bon vous semble… Vous ne m’empêcherez pas de dire ce que j’ai sur le cœur… Je me connais, je crois, en teints naturels… J’en avais un, ce me semble, avant que votre conduite et mes chagrins l’eussent gâté… Lorsque nous étions encore étrangers l’un à l’autre, on m’avait surnommée Lis et Rose… De quoi riez-vous?… Qu’y a-t-il de risible là-dedans?

« En sorte donc que je ne pourrai plus sortir avec vous sans vous voir salué par toutes les femmes… Ce que je veux dire, puisqu’il ne s’agit que de miss Prettyman?… Est-ce que je sais, moi, qui vous saluez quand je ne suis pas là?… Et celles qui ne vous regardent pas, à coup sûr vous les regardez, vous… Vous les regardez sous mon nez, à plus forte raison quand je ne suis pas là… Oh! Caudle, ne vous en défendez pas! C’est devenu chez vous une