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Il peut être utile de redresser quelques idées fausses répandues à ce sujet par le célèbre passage du grand Saint-Bernard en 1800. Parce qu’au prix d’efforts prodigieux et au-dessus du courage des hommes placés dans des circonstances ordinaires, une troupe héroïque a réussi à conduire par un col élevé de 2,500 mètres au-dessus de la mer et par un chemin à peine frayé tout l’immense matériel que les armées modernes sont condamnées à traîner avec elles, des personnes qui apprécient mal la grandeur d’un tel exploit sont disposées à croire qu’un sentier quelconque peut suffire non-seulement au passage d’une armée, mais encore à ses communications journalières. Rappelons d’abord que le grand Saint-Bernard avait été reconnu avec soin et signalé comme le point sur lequel il fallait le moins de travaux pour se frayer un chemin praticable; puis le passage a été effectué pendant la plus belle saison de l’année, par une troupe jeune, ardente, dont les bagages étaient réduits au plus strict nécessaire; elle n’emmenait avec elle ni parc de siège, ni équipage de pont, les deux plus grands impedimenta d’une armée. Or une ligne de communication doit pouvoir être parcourue à toute époque de l’année par des voitures de malades, de blessés, par des renforts, par des approvisionnemens de toute espèce qu’escortent seulement quelques soldats fatigués voyageant à petites journées et que l’on utilise pour ce genre de service. Jamais le premier consul n’a songé à faire traverser à de tels convois le grand Saint-Bernard, et la preuve qu’il pensait ainsi, c’est qu’à peine parvenu dans la plaine, son premier soin fut de se porter sur Milan, pour s’ouvrir les bonnes communications qui débouchaient de la Suisse, alors occupée par les armées françaises, et d’où allaient venir les divisions du général Moncey. Il y attachait une importance si grande qu’il opéra ce mouvement au risque de laisser au général Mêlas le temps de réunir ses troupes surprises et disséminées, et de le voir se présenter sur le champ de bataille avec une supériorité numérique capable de lui donner la victoire, ce qui, comme on sait, faillit effectivement arriver à Marengo. Cet exemple tant cité est donc loin de prouver que l’on n’a pas à se préoccuper de la question des routes en pays de montagne. L’examen de celles qui ont été tracées au travers des Alpes présente même un intérêt majeur, et l’on va voir que, si la France peut les franchir avec sécurité, l’Autriche n’a rien négligé pour donner à toutes les voies de communication sur lesquelles elle a quelque influence un tracé très utile à ses projets.

A l’époque où Polybe écrivait l’histoire des guerres puniques, on ne connaissait que quatre passages dans les Alpes : celui du littoral, celui du Mont-Genèvre par Briançon et Fenestrelles, qui fut vraisemblablement choisi par Annibal; ceux enfin du petit Saint-Ber-