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l’individu n’en souffrent nullement; s’il est sujet à plus de discipline, c’est qu’il y donne prise par plus d’expansion et d’activité : il ne rencontre de nouvelles barrières que parce qu’il est entré dans de nouveaux espaces. » Si je disais qu’il y a d’autant plus de liberté qu’il y a plus de gouvernement, je semblerais, tout en exprimant la pensée de M. Dupont-White, énoncer une proposition contradictoire dans les termes. Cependant on en sera moins effarouché si l’on considère que le mot liberté a, comme tous ces mots grands et précieux qu’on se transmet d’âge en âge, un sens relatif aux temps où ils sont prononcés. Aujourd’hui il ne peut plus signifier que la manière d’être d’une société qui croît incessamment en science et en puissance. Si la liberté ainsi définie n’est suivie pas à pas par un gouvernement qui se développe autant qu’elle, elle tend vers l’anarchie; si au contraire le gouvernement se développe plus qu’elle ne fait, elle tend vers le despotisme. Toutefois cette liberté, c’est-à-dire l’évolution croissante de science et de puissance, étant le remède propre des maux de la société, ne manque pas, par des oscillations qu’elle détermine, d’amender soit le despotisme soit l’anarchie. En dernière analyse, pour l’individu lui-même, la définition n’est pas autre. Je ne veux point entrer ici dans une discussion psychologique sur le libre arbitre; mais, de quelque façon qu’on le définisse, le libre arbitre n’étend progressivement son cercle qu’en étendant le cercle des motifs qui interviennent dans le fond, toujours le même, des impulsions innées. Plus la vue de l’âme s’agrandit, moins est borné le choix entre le bien et le mal. Les animaux ont à peine des rudimens de moralité, attendu que peu de lumières et peu de motifs s’opposent aux aveugles sentimens qui les poussent. L’homme barbare, animal en ceci, obéit encore terriblement aux appétits et aux passions. L’homme civilisé parvient, dans des limites progressives, à les diriger et à les contenir. La nature humaine ne change pas, mais les moyens extérieurs de la déterminer changent et fournissent sur elle des prises nouvelles et puissantes. C’est cette délivrance des impulsions fatales que M. Guizot a signalée dans sa belle phrase, quand il nous montre, au sein de la société gouvernée, une société non gouvernée et libre, justement parce qu’elle est assujettie à des lois plus délicates et meilleures.

On aimera certainement à voir comment M. Dupont-White a exprimé un aperçu très analogue. « L’individu, dit-il, n’est pas plus vertueux par la grâce du progrès, c’est-à-dire plus apte au sacrifice et au dévouement; il est simplement plus moral, pour être né à une époque plus avancée de l’éducation du monde. L’humanité, à force de voir certaines choses défendues et châtiées, les tient pour mauvaises. Elle devient plus régulière en présence d’une règle consa-