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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/815

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Pour conclure, quand la république romaine, héritière de cette grande action militaire qui avait paru un moment devoir appartenir aux Hellènes, eut par la conquête constitué l’Occident en un corps social, création dont on ne peut assez admirer la grandeur et l’importance, l’empire, qui succéda, n’eut qu’une fonction, celle de maintenir un certain ordre dans le monde romain. Cette tâche, il s’en acquitta, mais il ne la dépassa jamais. Il ne joua qu’un rôle passif dans la palingénésie spirituelle et temporelle. La toute-puissance des césars n’était qu’apparente, ou plutôt n’était qu’individuelle. Ceux d’entre eux qui aimèrent le luxe, la table, les femmes, les spectacles, le sang, purent se livrer sans obstacle à leurs goûts, et ils étonnent aujourd’hui la postérité par la violence de leurs caprices et la servilité de leurs sujets. Ceux qui eurent le sentiment de leur responsabilité, Vespasien, Trajan, Septime-Sévère, Dioclétien et d’autres encore, se plaignaient que le temps manquât à l’urgence de la besogne, l’efficacité à leurs efforts et la réussite à leur gouvernement. C’est qu’en effet, sans qu’ils s’en aperçussent, tout échappait sous leurs mains. Des forces dont ils n’avaient ni la connaissance ni la direction leur dérobaient pièce à pièce cet empire qu’ils étreignaient sans pouvoir le retenir.

L’inscience de l’état quant à l’avenir est le nœud de cette période importante à étudier, car on y voit, comme dans une expérience instituée pour notre instruction, la force d’évolution isolée de l’état, et l’état isolé de la force d’évolution.


IV. — FÉODALITÉ.

Je suis favorable à la féodalité, et pourtant, quand elle tourne vers son déclin, je ne suis pas moins favorable à ceux qui hâtent sa chute. Y a-t-il contradiction? En aucune façon. Cela veut dire que, me plaçant au point de vue relatif, qui est le point de vue historique, je n’ai pas dans l’esprit de type absolu de gouvernement sur lequel je jugerais ceux de tous les temps et de tous les pays, et que, quant à la féodalité, fleurir et puis déchoir a été dans sa juste destinée.

Autre est le jugement de M. Dupont-White. Il ne voit dans la féodalité que le triomphe de l’individualisme sans frein et sans responsabilité. « Il y a, dit-il, des lois dont l’origine est purement privée : ce sont les lois féodales, car le principe des fiefs n’est que celui de la propriété, plus une hiérarchie convenue de propriétaires. Cette société n’était qu’un contrat, et ce contrat n’avait pas de juges, pas d’arbitres. Qu’y a-t-il là de politique? Il reste à savoir, et ce n’est pas une question vraiment, si ces lois sont un monument de droit et de raison ou un expédient de barbares meilleur que l’anarchie, et rien