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prendre le plan du livre et juger du but auquel il tendait; on a conclu que, son début étant les sciences exactes ou naturelles, et son terme la doctrine de la civilisation, il fondait, pour me servir de l’expression de M. Dupont-White, la civilisation sur la géométrie et la chimie. Jamais conclusion ne fut plus précipitée et plus mal informée. Voici le sens très simple et j’ajoute très juste de cette hiérarchie : l’évolution historique est un phénomène qui se passe dans les sociétés par la réaction de leurs élémens les uns sur les autres; quelle qu’elle soit, pour l’étudier avec fruit, il faut connaître l’homme individuel, l’ensemble des êtres organisés auquel l’homme appartient, les forces chimiques par qui tout se compose et se décompose, les forces physiques, la terre support commun, le système solaire ou monde auquel nous appartenons, et enfin ce qu’il est possible de savoir de l’univers, où notre monde ne paraît plus que la réunion de quelques atomes. Toute étude sociologique est mal engagée qui ne procède pas ainsi. La philosophie positive ne dit pas: Étudiez les sciences exactes et naturelles, afin d’apprendre comment elles font la civilisation. Elle dit : « Étudiez les sciences, afin de connaître les conditions inférieures qui supportent la civilisation; sans ces conditions, tout est aussi impossible logiquement que matériellement. »

Maintenant que, munis de la sorte, nous ne sommes plus exposés à mettre la civilisation dans un milieu fictif et hors de ce qui la détermine, nous pouvons chercher la loi qui y préside. Et bien loin de rencontrer dans cette recherche les sciences exactes ou naturelles, nous sommes dès lors dans un domaine où elles n’interviennent point, parce qu’il les dépasse. Il n’y est question ni de géométrie, ni de chimie, ni même de biologie, car les théorèmes géométriques, les affinités chimiques et les propriétés des êtres vivans ne sont pas les propriétés en vertu desquelles les sociétés parcourent leurs phases successives. Aussi rencontre-t-on ce que M. Dupont-White croyait expulsé, ces chimères qui s’appellent philosophie, religion, politique. On les voit changer d’âge en âge, selon l’ensemble de la civilisation; elles changeront encore, n’ayant rien d’absolu, quel que soit le préjugé contraire, et s’accommodant à la croissance de l’humanité.

En résumé, et sans que je veuille entrer aucunement dans une exposition complète, deux points sont proposés : le premier point, c’est que l’histoire est un développement régulier dû aux forces intimes de la société, qui est sujette à l’évolution historique comme un être vivant est sujet à l’évolution vitale, sans que rien soit soustrait à la cause naturelle qui y préside, sans que rien soit abandonné au hasard ou au miracle. Le second point, c’est que, cette