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d’un grand pouvoir, et qui mit toute sa force à étouffer la liberté. Heureusement, pendant qu’il marchait en un sens rétrograde, le peuple anglais, en vertu de son passé et de son présent, marchait en sens inverse et se portait de toutes ses forces vers ce libéralisme à tendances démocratiques qui le caractérise présentement. De la sorte le gouvernement échoua et la société triompha; cependant, si la tentative avait coïncidé avec un affaiblissement de la nation anglaise, nul doute qu’elle n’eût réussi. Ce sont là des éventualités toujours menaçantes. Néanmoins, en prenant le développement dans sa totalité, on peut dire avec M. Dupont-White que ce sont deux accroissemens parallèles, celui de l’état et celui de la liberté de l’individu; ce qui peut se résumer ainsi : plus les affaires de l’état deviennent générales, plus elles deviennent régies par des lois, et dès lors, sous cet abri, la sécurité de l’individu est augmentée. Par cet enchaînement, l’état se fait plus loyal dans ses transactions, plus humain dans sa gestion, plus ordonné dans ses procédés. Il doit son amendement progressif à l’avancement total de la civilisation et à l’influence croissante de l’opinion publique. On le règle et il se règle; c’est là ce qu’on appelle liberté. M. Dupont-White ne dit pas autrement, et il se range sans hésitation et sans réserve dans le grand parti libéral, qui, malgré des conflits avec les gouvernemens, a pris auprès de plus d’un une influence considérable. Le nœud vital de la liberté ainsi entendue est la publicité, la discussion libre, la liberté de la presse. Les formes de gouvernement, quelque importance qu’elles aient, sont moins essentielles. La liberté de discussion est l’aspiration et l’attribut de l’Occident. Quand elle manque, l’homme moderne est amoindri, deminutus capite, comme disait le Romain dans son énergique langage.

Ici je pose la plume et je prends congé du livre de M. Dupont-White. Tantôt je me suis joint à lui, et, m’efforçant de m’approprier sa pensée, je l’ai présentée au lecteur sous un autre jour, car quel est l’esprit qui ne donne pas aux pensées d’autrui son reflet? Tantôt je me suis séparé de lui et j’ai discuté contradictoirement des opinions qui me paraissaient comporter des rectifications. Dans cet assentiment et ce dissentiment, je reconnais à M. Dupont-White, voué entièrement aux œuvres politiques, tout avantage, sauf un seul : c’est que je suis disciple d’une philosophie qui a la prétention de considérer l’histoire d’une façon nouvelle. Une philosophie est intrépide, même dans ses moindres disciples. Une lumière, quelles que soient les mains qui la portent, projette autour d’elle les rayons de sa clarté.


É. LITTRE.