Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/846

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chantaient cette arme dans toutes leurs romances, et les chrétiens ne juraient plus ni par Dieu, ni par les saints accoutumés, mais par le sabre du héros. « Si je mens, disaient-ils, que le glaive de Photos tranche mes jours! » — a Quelle nuée de cavaliers et de fantassins! — dit encore un de ces chants klephtiques; — ils ne sont ni un, ni deux, ni trois, mais bien dix-huit ou dix-neuf mille. Qu’ils viennent, ces vieux Turcs, voir comment les Souliotes font la guerre, et faire connaissance avec l’épée de Photos! — Vély-Pacha leur crie inutilement de ne pas tourner le dos; ils répondent avec des larmes dans les yeux : « Ce n’est point ici Delvino, ni Chormôvo; c’est Souli le mauvais, le renommé dans le monde; c’est l’épée de Photos, rouge du sang des Turcs; elle a taillé des vêtemens noirs à toute l’Albanie et fait pleurer toutes les mères ! »

Quand, vers le milieu de l’été de l’année 1803, Ali-Pacha revint d’Andrinople, où il avait été forcé de se rendre quelques mois auparavant pour faire rentrer dans le devoir Georgim-Pacha, gouverneur de cette ville, il trouva Souli dans la même situation qu’à son départ. Après avoir accordé une semaine de repos aux bandes albanaises qu’il ramenait, il les dirigea de nouveau vers la Selléide et renforça ainsi le blocus. En voyant se resserrer autour d’eux le cercle fatal qui s’était un instant élargi pendant l’absence du pacha, les klephtes conçurent de tristes pressentimens. Déjà les vivres redevenaient rares dans la montagne. Le souvenir des horreurs de la précédente disette faisait pâlir les plus résolus. Tant d’épreuves commençaient à ébranler les plus fermes courages; il n’était pas un Souliote vivant qui n’enviât la destinée de ceux que la mort avait moissonnés sur le champ de bataille. Cependant personne ne parlait encore d’entrer en accommodement. Sur ces entrefaites, Ali entama de nouvelles négociations. Cette fois il obéissait à un ordre venu de Constantinople. Le sultan Sélim III, à qui la prospérité croissante du pacha de Janina commençait à porter ombrage, voyait dans la république de Souli un utile contre-poids à la puissance d’Ali en Épire. Il ne voulait pas que les Souliotes succombassent sous les coups d’un ennemi dont l’ambition n’avait pas de limites, et il enjoignit au pacha de leur faire sur-le-champ des conditions de paix acceptables. Ali-Pacha ne crut pas prudent d’enfreindre ouvertement ces ordres. Il envoya donc un parlementaire à Souli, offrant de mettre fin à la guerre, si les Souliotes consentaient en premier lieu à exiler Photos, en second lieu à construire chez eux une forteresse destinée à recevoir un délégué de la Sublime-Porte et une garnison de quarante Albanais. D’un côté, Ali pensait que ces conditions paraîtraient raisonnables au sultan, et de l’autre il s’attendait à les voir refusées par les Souliotes. Du reste, il était décidé à traîner les négociations en longueur de façon