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lumière du visage, s’étaient à jamais éteints chez ce rejeton d’une race frappée. Il avait senti naître tout à coup en lui, sans transition, l’homme redoutable qu’il est resté. A cette lugubre naissance était accourue, comme un essaim de fées, toute la troupe des passions vengeresses; chacun de ces esprits funestes lui avait octroyé un don particulier pour les œuvres de destruction et de colère. Chose étrange pourtant, il avait gardé et, malgré tout ce qu’on pourra me dire, je soutiendrai qu’il garda toujours une sensibilité d’une nature toute particulière, qui me faisait l’effet, dans cette âme orageuse, de ces grandes plantes énergiques et frêles que l’on voit parfois suspendues aux rochers sur les bords de la mer. Le vent des tempêtes les agite dans tous les sens et ne peut point les déraciner. Oui, j’affirme qu’il n’a jamais connu cette cruauté aveugle et sourde qui est la méchanceté de la brute, encore moins cette cruauté fine, subtile et railleuse qui est la malice infernale. Il a justifié la devise de sa famille, il a été, comme on dit dans son pays, une sanglante épée; mais que les plus calmes, les plus pacifiques passent un instant par la pensée dans les chemins qu’il a suivis, et qu’ils disent après si, à chaque endroit où il a évoqué les puissances terribles, ils n’auraient pas fait les mêmes conjurations que lui!

Il entrait à peine dans sa dix-huitième année quand la guerre, qui dans son pays ressemble à un feu mal éteint, se réveilla tout à coup. Autour de lui, des bandes de partisans s’étaient organisées, et sur ses terres les paysans commençaient à prendre leur mine d’insurgés. On sentait dans l’air ces souffles belliqueux qui passent aussi bien dans les campagnes, à travers les chaumières des vallées, qu’à travers les maisons pressées sur le pavé ardent des villes. Un détachement de soldats devait s’engager un matin dans une gorge profonde à quelque distance de son château. La veille de ce jour, au tomber de la nuit, il sortit après avoir embrassé sa mère. Ce détachement fut détruit, et l’Europe apprit bientôt que le gouvernement espagnol avait à combattre un chef de plus.

Je ne vous dirai pas ses exploits, ils sont inutiles à ce récit; je veux seulement constater une vérité importante pour jeter sur cette figure la lumière qui doit l’éclairer. Jusqu’à l’événement que je vais raconter, Fabio fut à coup sûr un chef déterminé, donnant aux luttes qu’il soutenait les rudes et promptes allures que la guerre civile a eues de tout temps dans sa patrie; mais on ne pourrait pas citer de lui un seul fait trahissant dans son caractère le goût des cruautés inutiles et des meurtres réprouvés. Loin de là, je sais d’une manière certaine que plus d’une fois la miséricorde chrétienne et la générosité chevaleresque mirent sur ses lèvres des paroles de merci, alors que les ressentimens inassouvis grondaient avec le plus de