Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/924

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

matières étrangères à la religion, telles que la langue et l’écriture françaises, le calcul, le chant? Dans une telle mesure, l’éducation gratuite et obligatoire, suivant l’exemple donné au Sénégal par M. Faidherbe, paraît un devoir autant qu’un droit de notre souveraineté; elle mettrait fin à la séparation qui existe aujourd’hui entre les élèves chrétiens, musulmans et Israélites, comme si l’on visait à maintenir éternellement l’antagonisme des races. L’Orient à Constantinople, à Smyrne, à Alexandrie, l’Afrique même à Tunis, nous donnent l’exemple des écoles mixtes. Nous n’acceptons pas comme suffisantes les écoles arabes pour garçons ou pour filles, dirigées dans les principales villes par des maîtres français, et moins encore le collège musulman fondé à Alger par l’ancienne direction de l’Algérie, bien que son caractère primitif ait été entièrement changé par l’admission d’une majorité d’externes chrétiens[1]. Déjà l’institution a reçu du ministère spécial une première et juste atteinte : la direction suprême a été transportée du pouvoir militaire au recteur de l’académie d’Alger. Mieux inspiré encore, le conseil-général d’Oran a réclamé un lycée provincial accessible aux enfans de toute race et de tout culte : c’est la voie dans laquelle il faut désormais marcher.

Passer de la famille à la tribu, c’est quitter le genre de vie le plus naturel à l’homme, le plus digne de lui, pour entrer dans une forme sociale passagère de son essence et tout à fait incompatible avec la civilisation, tant que la propriété indivise et commune y exclut l’appropriation individuelle. Poètes et historiens expliquent volontiers l’existence nomade par d’impérieux instincts de race, prétendues lois de l’humanité : pure hypothèse que dément le tableau de la domination des Maures en Espagne et dans tous les lieux où la durée de leur puissance a permis à leur génie natif de se manifester. Comme l’Européen, l’Arabe aime d’un vif amour le sol natal, la maison paternelle et la propriété individuelle, qui lui donne la fortune avec l’indépendance. Celle-ci existe dans une certaine proportion en beaucoup de tribus, et y est appréciée aussi vivement que dans les campagnes de France. Elle n’est pas devenue générale pour deux causes : l’état de guerre et l’enfance agricole prolongée. L’état de guerre a maintenu dans les tribus aristocratiques la prépondérance des seigneurs, aux mains et au profit desquels la féodalité territoriale s’est prolongée jusqu’à nos jours; dans les tribus fédératives, l’intérêt de la défense commune a éloigné le morcellement : dans toutes, le danger des spoliations par les Turcs a fait prévaloir la propriété la plus mobile, telle que la tente et les troupeaux. L’ignorance agricole, fruit de la guerre, a agi dans le même

  1. En 1859 le collège arabe-français compte 58 musulmans et 70 chrétiens.