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aussi du piano avec une précision étonnante, la série des concerts publics s’est terminée par celui qu’a donné M. Alexandre Boucher, le vétéran des violonistes et des prestidigitateurs. M. Alexandre Boucher est né dans la bonne ville de Paris en l’an 1770 ! Il a parcouru le monde, a vécu longtemps en Espagne, où il a connu le doux et admirable Boccherini, qui lui a donné des conseils. M. Boucher a été, sous l’empire et pendant la restauration, un violoniste éminemment fantaisiste, et à l’âge de quatre-vingt-dix ans il a conservé presque toute sa verve et son humour. Il a joué d’une manière encore étonnante un fragment d’un concerto de Viotti et surtout une sonate de Hummel pour piano et violon. On ne peut pas mieux finir une longue et brillante carrière.

Nous aurions bien d’autres concerts à citer encore, celui de M. Bessems, un artiste sérieux et honorable, celui de M. Hammer, qui s’essaie avec succès au rôle de chef d’orchestre ; mais, comme dit le maître, il faut savoir se borner. Cependant il existe dans le monde des personnes modestes, des talens véritables, qui, craignant le grand jour et le bruit de la publicité, se contentent de l’approbation discrète d’un petit nombre d’amateurs d’élite : telle est par exemple Mlle Beaumetz, pianiste distinguée par la sobriété du goût et la délicatesse du sentiment. C’est aussi dans un salon du faubourg Saint-Germain que nous avons eu l’occasion d’entendre un opéra-comique en deux actes, les Deux Princesses, dont la musique fraîche, élégante et de bonne humeur, est de M. le comte d’Indy, un dilettante qui a des idées et du savoir. J’y ai particulièrement remarqué un charmant quatuor qui ferait honneur à un maître.

Un événement qui, sous tous les rapports, mérite d’être consigné dans ces annales des dernières fêtes musicales de Paris, c’est le grand festival qui a été donné au Palais de l’Industrie le 18 et le 20 mars par toutes les sociétés chorales de France. Six mille choristes, assure-t-on, appartenant la plupart aux classes ouvrières, se sont réunis sous la présidence d’un artiste infatigable, M. Eugène Delaporte, qui, depuis vingt ans, consacre tous ses efforts à cette propagande de la musique chorale. Je ne veux pas exagérer les résultats obtenus, car je ne me suis jamais fait beaucoup d’illusion sur la puissance de sonorité d’une masse d’instrumens ou de voix qui dépasse certaines limites ; mais ce qu’il faut surtout voir et louer dans cette grande réunion d’hommes accourus de tous les points de la France, c’est la discipline morale qu’elle suppose, un signe de bon augure pour le rapprochement des différentes classes qui composent la société française. L’exécution pourtant de ces six mille voix, bien dirigées par M. Delaporte, n’a pas été indigne du public nombreux qui remplissait le vaste édifice des Champs-Elysées. Le septuor des Huguenots est le morceau qui a produit l’effet le plus saisissant, et les deux séances ont répondu suffisamment à l’attente de l’opinion publique. Il serait à désirer que l’autorité supérieure accordât plus que sa bienveillance à cette institution utile des sociétés orphéoniques, et qu’elle ne laissât pas sans récompense l’artiste plein de zèle et de courage qui en est l’organisateur, M. Eugène Delaporte.

La saison des concerts a été close d’une manière très brillante par la séance de musique vocale donnée par M. Duprez au bénéfice de la caisse de secours des anciens élèves de l’école de Choron. M. Duprez, qui est certainement