Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si la pensée politique qui inspira l’adoption de l’échelle mobile, ou plus généralement de droits à l’entrée sur les grains, comme un des élémens constitutifs d’une aristocratie à ressusciter, était heureuse et opportune. Il est incontestable qu’une constitution aristocratique a donné à l’Angleterre un état politique social très florissant, où la liberté a sa large place. Encore voyons-nous aujourd’hui que l’on peut s’assurer ces précieux avantages sans conférer à l’aristocratie et aux propriétaires du sol le droit de vendre leurs denrées plus qu’elles ne valent sur le marché général du monde, puisque depuis 1842 et 1846 les Anglais ont renversé cet échafaudage de privilèges. Mais chez nous, après la révolution de 1789, en présence du mouvement irrésistible dans lequel depuis lors la France est lancée, on pouvait soupçonner que la conception politique et économique dont il s’agissait était digne de l’école qui n’avait rien oublié ni rien appris. À ce sujet, il est même à remarquer que, sous l’ancien régime, le gouvernement avait presque constamment répudié le système des droits à l’importation des grains, et sur ce point il avait été imité par la république et par l’empire. Quoi qu’il en soit, en 1819 et 1821, le pauvre peuple laissa faire, et le gros du parti libéral garda le silence, ou même se fit le complice de la mesure. Si quelques publicistes réclamèrent, ils furent traités de rêveurs; on leur cria d’un ton dédaigneux qu’ils étaient des théoriciens, ce qui est une espèce de note d’infamie dans un certain monde, où il paraît, selon le mot de M. Royer-Collard, qu’on regarde comme indigne de l’homme qu’il cherche à savoir la raison de ce qu’il dit et de ce qu’il fait[1].

Quant aux propriétaires, la loi de l’échelle mobile leur sourit beaucoup; ils furent persuadés que ce serait un grand bienfait pour eux. Ils n’en envisagèrent que les clauses relatives à l’importation. La question de l’exportation, qui aujourd’hui a pris une importance transcendante, n’en avait aucune alors : chaque nation à peu près, et plus qu’aucune autre l’Angleterre, était entourée d’une muraille de la Chine pour se préserver de l’invasion des blés étrangers; c’était déjà l’expression consacrée. Les propriétaires tenaient pour certain qu’avec cette ingénieuse invention de l’échelle mobile, on parviendrait à fixer les beaux prix (beaux pour celui qui récolte, non pour celui qui consomme) qui avaient, entre autres, marqué l’année 1817-18, et qui restaient cependant inférieurs à ceux de 1816-17, année de disette. Un peu plus de réflexion cependant

  1. On trouvera d’intéressans détails sur la discussion à laquelle donna lieu dans les chambres françaises l’établissement de l’échelle mobile dans un volume récemment publié par M. Amé, directeur des douanes de Bordeaux, sous le titre d’Étude économique sur les tarifs de douanes.