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sans élévation d’esprit, qui voudrait être comparé à Pascal par ce seul fait qu’il serait parvenu à imiter sa signature et son paraphe, nous ferait certainement rire. » Aussi M. Silvestre rit-il le plus résolument du monde des contrefaçons commises par ce pinceau, et des dupes, assez nombreuses, il est vrai, qui s’y laissent prendre. Son hilarité va même si loin, et il a si bonne envie apparemment de nous la faire partager, qu’après avoir accolé le nom de M. Ingres tantôt aux noms de Gérard Dov et de Miéris, tantôt à celui de M. Schopin, il finit, dans une certaine page de son livre, par nous proposer de préférer, comme lui, le tableau des Casseurs de pierres, — une idylle de M. Courbet, — « aux fades et prétentieuses images « que M. Ingres a « tirées de la Bible, du Dante et de l’histoire. » Ceci nous dispense d’insister. Aussi bien devons-nous profiter pour notre compte d’un conseil que M. Silvestre s’est donné un peu tard à lui-même : «Dix lignes suffisaient, dit-il, à l’histoire de ce célèbre artiste, qui a sacrifié les émotions, les facultés humaines, à la pratique manuelle, à la calligraphie de l’art, et rais la peinture au carreau. » Quelques lignes, dirons-nous à notre tour, quelques mots empruntés à cette regrettable étude, suffisent pour en faire apprécier le caractère et la portée. M. Ingres d’ailleurs a-t-il besoin d’être défendu? Ses œuvres, au-dessus des offenses et des railleries, sont assez éloquentes pour se passer de tout secours et réfuter de reste qui les attaque. Contentons-nous d’y renvoyer non pas ceux que l’Histoire des Artistes vivans aurait pu convertir, — ce serait, nous l’espérons, ne convoquer personne, — mais M. Silvestre lui-même. Peut-être, en étudiant de nouveau le noble talent qu’il a essayé de flétrir, reconnaîtra-t-il des erreurs d’autant plus répréhensibles qu’elles n’ont pas la faiblesse d’esprit pour excuse. Que l’auteur de l’Histoire des Artistes vivans renonce à son système d’indépendance et d’originalité violentes; qu’il ait le courage de s’humilier devant les idées reçues, quand ces idées sont justes, devant les gloires reconnues, quand la voix publique a raison. Qu’il s’abstienne surtout de ces révélations au moins inutiles dont nous parlions en commençant, et qui peuvent atteindre la réputation d’un homme sans aider à l’intelligence d’un talent. Pourquoi par exemple avoir publié, en guise de notice sur Pradier, et sans développement d’aucune sorte, une série de lettres qui nous apprennent seulement qu’un des plus habiles sculpteurs de notre époque était aussi un infatigable solliciteur? Nous ne prétendons nullement défendre, ni pour le fond ni pour la forme, les fâcheuses requêtes de Pradier; mais un artiste aussi important, après tout, dans l’histoire de l’école moderne méritait d’être jugé sur des témoignages d’un autre ordre, et, si peu irréprochables que soient à certains égards les œuvres qu’il a laissées, encore fallait-il en tenir plus de compte que de ses appétits personnels et des faiblesses de son caractère.

Cette étude sur les travaux de Pradier et sur les diverses phases de sa vie d’artiste que M. Silvestre n’a pas voulu entreprendre, un ancien élève du maître, M. Etex, a cru devoir l’écrire. Le livre toutefois justifie-t-il parfaitement le titre que lui a donné l’auteur, et plus d’une page n’accuse-t-elle pas de la part de celui-ci une propension à l’autobiographie, qui, entre autres inconvéniens, a le défaut de diviser l’intérêt? Tout en nous disant ce qu’il sait de la vie de Pradier et ce qu’il pense de ses ouvrages, M. Etex ne refuse