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point de vue du fait général, les différens ouvrages que nous venons d’analyser? Ces ouvrages résument, — nous ne voudrions pas dire les principes de trois écoles, —mais trois sortes de tendances auxquelles la critique d’art contemporaine sacrifie trop souvent ses vrais devoirs. L’Histoire des peintres vivans est un spécimen de ce qu’on pourrait appeler la critique ultra-biographique. L’étude sur l’École d’Anvers en 1858 est plutôt une thèse soutenue par l’amour-propre national qu’une appréciation indépendante de certaines œuvres et de certains talens; elle caractérise à ce titre la critique tout apologétique et paradoxale par excès de patriotisme. Enfin le discours sur l’Art et les artistes en Angleterre représente en quelque façon la critique négative, c’est-à-dire diserte jusqu’à la phraséologie, complaisante et facile jusqu’à l’abdication de ses droits. En général, le tort principal de la critique actuelle en matière d’art est le défaut de mesure dans l’éloge comme dans le blâme. Pour elle, point de milieu entre l’engouement et l’extrême rigueur, entre le Capitole et les Gémonies. Ce n’est pas tant sa précipitation, son inexpérience même, — bien qu’assez évidente parfois, — qui réduisent ou compromettent l’influence qu’elle devrait exercer; c’est le besoin de paraître neuve à tout prix, c’est cette volonté absolue de dire autre chose que ce que l’on a dit, de ne reculer devant aucun sophisme, si ce sophisme n’a pas eu cours encore. Nous ne parlons pas de certaines fantaisies littéraires que se passent, tantôt à propos du Salon, tantôt à propos de telle œuvre en particulier, des écrivains occupés ailleurs d’ordinaire. Qu’ils vocalisent, pour ainsi dire, sur ce thème de hasard les variations que le caprice leur suggère, le mal ne sera pas grand, ni l’opinion bien émue; mais le mal devient plus sérieux lorsqu’au lieu de se servir ainsi de la peinture comme d’un prétexte à de purs amusemens d’esprit, on prêche l’erreur sur un ton didactique, et la négation injuste du bien ou du mal au nom de l’équité. La critique certes a bien le droit de garder, en face des œuvres qu’elle est appelée à juger, ses inclinations propres et ses préférences. Elle peut et doit dire ce qu’elle croit être la vérité, mais il ne lui est pas permis d’en exagérer l’expression à ce point que ses sévérités aboutissent à l’outrage, et ses admirations au fanatisme. Loin de séduire ou d’entraîner personne, elle ne fera que se déconsidérer à ce jeu. Elle pourra peut-être affubler d’une notoriété éphémère quelques-uns de ceux auxquels elle aura prétendu dispenser la gloire, exciter un moment la curiosité en s’attaquant aux maîtres reconnus de l’école : elle aura réussi certainement à diminuer le prix de la louange là même où la louange est légitime, et à discréditer son autorité par les emportemens de ses sympathies aussi bien que par la violence de ses agressions.

Parmi les habitudes vicieuses de la critique, il en est une qu’il importe de signaler, parce qu’en abaissant le goût littéraire elle tend à fausser aussi dans le public la juste notion de la peinture, l’idée que l’on doit avoir de son principe, de ses fonctions, de son objet. Nous voulons parler de cette malencontreuse manie d’employer à tout propos, pour définir les productions de l’art, des termes de métier, on dirait presque de cuisine. Les mots de pâte épaisse' ou mince, de glacis liquoreux, bien d’autres encore, ont pris une si large place dans le vocabulaire esthétique, qu’ils suffisent à peu près