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pays. L’Algérie elle-même n’échappe pas à ces anathèmes, bien qu’ils tombent en première ligne sur Montevideo. Il y a quelques années, le préfet de la Haute-Saône ayant dirigé vers l’Atlas quelques centaines de familles franc-comtoises, le conseil-général du département, à sa première session, signala comme une calamité ce détournement de bras de la campagne au profit de la colonie. Quand l’esprit public est si mal disposé, il n’y a rien à lui demander; heureux doit-on s’estimer s’il n’élève pas d’autre obstacle que son inertie. Fùt-il plus bienveillant, la population rurale, celle dont l’Algérie aurait le plus besoin, est loin d’être surabondante en France, et s’il y a quelque part pléthore dans les villes, le contingent qui les embarrasse ferait de médiocres colons. L’apport de la métropole doit consister surtout dans les intelligences et les capitaux.

Les états étrangers nous offrent seuls des pépinières d’émigrans. Pour y puiser avec succès, recherchons d’abord pourquoi ce large courant, qui entraîne tous les ans vers le Nouveau-Monde près d’un demi-million d’individus, s’obstine à fuir les rivages africains. Les causes de ce phénomène de répulsion sont multiples, et quelques-unes à peu près invincibles. Il faut compter en première ligne la puissance des habitudes qui règnent depuis 1815, époque où les révolutions survenues en Europe tournèrent les regards et les espérances vers l’Amérique du Nord, puis le nombre considérable de familles déjà émigrées qui deviennent autant de foyers d’attraction pour les parens, les amis, les compatriotes même, dans un rayon étendu du pays natal. Les Anglo-Irlandais retrouvent dans le Canada et le nord des États-Unis l’analogie du climat, qui entraîne jusqu’à un certain point celle des cultures, et en outre l’analogie de la langue, de la religion, des institutions politiques et civiles, qui les suivent même au cap de Bonne-Espérance et en Australie. Pour cette dernière colonie comme pour la Californie, les mines d’or ont été un aimant d’une suprême puissance. Hollandais et Belges émigrent peu, et leur choix incline vers les pays qui jouissent d’une grande liberté politique, comme celle dont ils ont l’habitude. Les Allemands recherchent aussi la liberté, parce qu’ils en sont privés; ils retrouvent en outre dans l’Amérique du Nord leur climat, leur langue, leur religion, tout cela consolidé par de nombreuses alliances de sang et d’idées.

À ces attraits puissans l’Algérie avait quelque droit à opposer le voisinage, les relations faciles avec la mère-patrie et par conséquent un retour aisé, la liberté civile et religieuse, la douceur et l’égalité dans les mœurs sociales, la justice et la probité dans les institutions; mais l’administration s’est toujours abstenue de faire briller ces amorces aux yeux des étrangers. Dans une commission instituée