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par grandes familles nationales : Anglais, Irlandais, Allemands, Français, Suisses. Qu’eût-il pensé de la prétention de parquer les émigrans par départemens ou par provinces? Un tel plan, et c’est son pire côté, transporte dans la colonie le paupérisme de la métropole, qu’un secours de quelques milliers de francs ne saurait supprimer, dès qu’il doit être englouti dans la création d’une exploitation agricole; il livre enfin la colonisation aux conseils-généraux et aux préfets de France, nouveaux rouages officiels ajoutés à un mécanisme qui en a déjà beaucoup trop, mauvais instrumens d’une œuvre qu’ils ne connaissent pas, qu’ils aiment médiocrement, et qu’ils ne peuvent à distance conduire ni surveiller. Toute combinaison de ce genre méconnaît d’ailleurs une des lois les plus constantes de toute émigration. L’émigrant n’aime pas à se fixer dès le premier jour de son arrivée, il veut courir le pays, voir et choisir lui-même le lieu où il fixera sa demeure définitive : instinct de prudence et de liberté qui le conseille bien.

La production, à son tour, a été trop souvent engagée dans de fausses voies par les idées préconçues et l’abusive pression de l’état. L’agriculture a été posée comme base unique de la colonisation à l’exclusion de l’industrie; en fait de produits agricoles, une faveur exagérée a surexcité les cultures dites commerciales de préférence aux cultures alimentaires, et les plantes exotiques aux dépens des plantes indigènes. C’étaient là autant de fausses manœuvres qui, accumulées pendant une vingtaine d’années sur tous les points de la colonie, dans tous les villages et toutes les fermes, ont entraîné bien des revers et des découragemens.

Si la préférence accordée à l’agriculture sur l’industrie n’avait atteint de son indifférence que les grandes manufactures, fruits d’une civilisation avancée, qui ne mûrissent qu’au sein des pays où abondent les capitaux et les populations, ce sentiment eût été juste. Malheureusement elle s’est étendue même aux fabrications les mieux appropriées au milieu algérien, celles qui dégrossissent et manipulent les matières brutes que fournissent la nature et l’agriculture, bien que la place légitime de ces industries soit marquée au début de toute colonisation au même titre que les entreprises purement agricoles. En mettant les denrées et les matières premières à la portée de la consommation locale, en les allégeant de leur poids en vue de l’exportation, l’industrie leur ouvre des débouchés qui, sans elle, leur seraient inaccessibles : elle devient une source précieuse de travaux et de salaires.

La politique invite, autant qu’une intelligente spéculation, à conduire de front ces deux branches d’activité. L’industrie se recommande par son caractère inoffensif, profitable même aux popu-