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rant que le plus ignorant de ses élèves, et parfaitement incapable de comprendre même les quelques axiomes qu’il enseignait par routine. Pietro ne manquait cependant pas d’intelligence, et M. Stella pouvait à bon droit être fier de son fils. Grand et élancé pour son âge (Pietro avait dix-sept ans au moment où Rachel revenait à la ferme), robuste et sain, il rappelait les anciens Longobards, dont les habitans de cette partie du Milanais descendent presque sans mélange. Il en avait les cheveux d’un blond chaud, les grand yeux bleus, le nez droit, fin et recourbé par le bout, la bouche bien découpée, quoique grande, les dents belles, le contour du visage plein et régulier, le teint blanc, quoique cuivré par le soleil; il en avait aussi la force musculaire, la physionomie ouverte et le tempérament fougueux. La discipline chrétienne dans toute sa pureté et sa rigueur avait pesé sur le jeune descendant des barbares, et l’avait façonné à l’image de son divin auteur. Pietro ne connaissait ni les vices de la civilisation ni ceux de la barbarie; avouons franchement toutefois qu’il eût résisté aux premiers plus facilement qu’aux seconds. Aussi pieux et aussi chaste que sa mère, aussi intègre et aussi loyal que son père, son unique désir était de marcher constamment dans la voie qu’on lui avait tracée, sans qu’il se fût jamais demandé ce que cette persévérance pourrait lui coûter un jour d’efforts ou de sacrifices. Quoique son père ne lui eût jamais fait part de ses projets relativement à Rachel, Pietro n’avait pas tardé à les deviner; mais la pensée de sa future union avec cette belle enfant ne lui causait ni ravissemens amoureux ni froids regrets. Cette pensée eut pourtant pour effet de le rapprocher insensiblement de la jeune fille et de disposer son cœur à la tendresse. — Si je dois passer ma vie avec elle, se dit-il, si c’est à moi que son bonheur ici-bas et son bonheur éternel doivent être confiés, il faut bien que j’apprenne par quelles voies je puis l’assurer. — Puis il retrouvait dans ses souvenirs d’enfance bien des scènes d’amour et de bonheur conjugal dans lesquelles son père et sa mère, alors jeunes, avaient joué le principal rôle, et à côté de ces images à moitié effacées deux autres images, la sienne et celle de Rachel, remplissaient le même cadre et renouvelaient les mêmes épisodes. Il voyait Rachel plus grave et plus sédentaire, mais non moins belle ni moins sereine, tenant dans ses bras et lui présentant avec un sourire ému un enfant rose et frais comme ceux qu’il avait vus dans les bras de sa propre mère. A partir du jour où les projets du vieux fermier avaient été devinés par Pietro, Rachel avait ainsi revêtu à ses yeux un caractère presque sacré : il révérait dans sa jeune cousine la future maîtresse d’une demeure où elle était appelée à maintenir l’ordre, la joie et la sérénité.