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comme tu le voudrais, toutes ses belles qualités. — Et qui te dit qu’il ne t’appartient pas? Ah! Paolo! Paolo! pourquoi m’arracher de tels aveux?...

Aussitôt Paolo, se reprochant son mouvement de folle irritation, mit tout en œuvre pour rassurer, pour consoler Rachel. — Il l’aimait, lui dit-il, et il en fit le serment, à partir du jour où, petite fille encore, elle était arrivée à la ferme. Il l’avait toujours aimée depuis lors, et il l’aimerait aussi longtemps que son cœur battrait dans sa poitrine. S’il ne lui avait jamais déclaré son amour, c’était pour ne pas abuser de sa tendresse en l’engageant à unir son sort à celui d’un homme sans fortune et sans avenir, engagé dans de périlleuses entreprises; mais sur le point de la quitter, sans savoir même s’il la reverrait jamais, l’effort était trop grand, et il ne pouvait garder plus longtemps le silence. Emporterait-il du moins la consolante pensée qu’elle aussi l’aimait du même amour, et qu’elle le suivrait par la pensée dans sa vie aventureuse? — Tu me rends à la fois bien heureuse et bien malheureuse, Paolo, lui répondit Rachel. Je sais bien que je t’aime comme je n’ai jamais aimé personne; mais te voir partir, te savoir exposé à mille dangers, ignorer même l’époque de ton retour!... ah! il y a Là de quoi troubler la plus grande joie!... Et d’ailleurs ton père consentira-t-il à notre mariage? Ne m’accusera-t-il pas d’ambition, de vanité, de coquetterie? Ne dira-t-il pas que je n’eusse jamais dû me permettre seulement de rêver une telle alliance?

— Cela signifie-t-il que, si nos parens ne consentent pas à notre mariage, ton intention est de rompre avec moi et de m’oublier, peut-être d’en épouser un autre?

— C’est aujourd’hui, la première fois que j’aperçois de la méchanceté dans ton cœur, Paolo, et cette méchanceté, c’est sur moi que tu l’exerces!... Ce n’est pas à moi que je pense, mais à toi. Si tes parens nous refusent, tu seras libre, et je me sentirai consolée si je puis me dire : Je n’ai pas profité de son amour pour l’enchaîner irrévocablement à mon sort... Viens, Paolo, ne tardons pas davantage; il me semble que je les trahis aussi longtemps que je les laisse dans l’ignorance de ce qui se passe entre nous.

Rachel avait raison sans doute, mais Paolo n’était pas disposé à suivre ses conseils. Le moment lui paraissait mal choisi pour s’expliquer avec ses parens. N’avait-il pas répondu la veille à son père, qui lui demandait comment il s’arrangerait pour continuer ses études d’ingénieur, que le moment était venu d’oublier les intérêts personnels pour ne songer qu’à la patrie en danger? C’était la mode, il faut bien le dire, parmi les camarades de Paolo, et dans le monde où il vivait, de plaindre et même de traiter avec quelque