Il ne voyait pas l’application directe et pratique de toutes ces doctrines, et il s’étonnait de la chaleur qu’on mettait à des discussions purement spéculatives selon lui.
Filippo n’était ni inflexible comme Cesare, ni insouciant comme Orazio. Il avait voué à son frère Paolo une affection mêlée d’admiration pour ses facultés intellectuelles et de pitié pour sa faiblesse physique. L’idée du combat le jetait dans un ravissement inexprimable, et une sorte de pressentiment qu’il protégerait son frère sur le champ de bataille s’ajoutant à cet enthousiasme belliqueux, rien n’eût été capable de le retenir à la ferme, si ce n’est pourtant un ordre de son père. L’autorité de M. Stella se ressentait, à vrai dire, de l’ébranlement du trône, et si ses fils étaient tout aussi obéissans que de coutume, lui-même était moins impérieux, moins absolu dans ses volontés. Depuis qu’il s’était dit que ses opinions étaient peut-être surannées, depuis surtout que le pape semblait s’être rangé sous le drapeau révolutionnaire, M. Stella avait découvert que personne ici-bas ne pouvait se croire à l’abri de l’erreur, et sa confiance en lui-même s’était altérée. Aussi ne s’opposa-t-il pas au départ de son troisième fils Filippo, et lui donna-t-il, ainsi qu’à Paolo, sa paternelle bénédiction. — Soyez honnêtes et soyez chrétiens, leur dit-il. Je n’ose pas vous faire d’autres recommandations, puisque les temps sont changés, les hommes aussi, et moi qui ne change pas, peut-être suis-je dans mon tort. Allez, mes enfans; que Dieu vous protège et vous garde! Ayez soin de vous, ne commettez pas d’imprudence, et faites-nous savoir ce qui vous arrivera. Et toi, Filippo, qui es le plus fort, fais attention à ton frère. Adieu, adieu.
Puis, essuyant du revers de sa main les grosses larmes qui pendaient à ses cils, le vieillard rentra dans sa chambre, où sa femme s’était réfugiée après avoir embrassé ses enfans à l’écart, et tous les deux ils demeurèrent enfermés pendant une heure, échangeant leurs regrets, leurs craintes et leurs espérances. Le lendemain, ils reprirent le cours de leurs occupations quotidiennes, quelque peu abattus et silencieux, mais calmes et sereins comme tous ceux qui vivent habituellement dans la pensée de Dieu.
Rachel seule était profondément agitée. La contrainte toute nouvelle que Paolo lui avait imposée eût suffi à éteindre la vive gaieté de son caractère. Dans ce cas particulier, le remords s’ajoutait à la gène, et ses inquiétudes sur le sort de Paolo, inquiétudes qu’elle se croyait tenue de cacher, lui étaient tout repos la nuit comme le jour. Pietro s’aperçut bientôt du changement survenu dans son humeur et dans son caractère : il l’attribua à ce qui en était en effet l’une des causes, mais il était loin de deviner tout ce qui se passait dans le cœur de la pauvre enfant. — Elle est inquiète pour mes