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sont les simples réminiscences de ce qu’une jeune étrangère a entrevu et enduré personnellement au plus fort de la tourmente, et qu’elle a consignées plus tard dans un milieu plus tranquille. En position de beaucoup voir comme aussi de beaucoup souffrir, Mme Elliott saisit vivement l’attention dès le début pour la captiver jusqu’à la fin par l’évidente sincérité de sa narration, comme par l’ardeur et la constance de ses sentimens; mais avant d’en juger par quelques extraits, il convient de résumer ce que nous avons pu recueillir sur la personne et la vie de l’auteur.

Nous n’avons affaire ici ni à un pseudonyme ni à un personnage fictif. Née en 1765 en Écosse, où sa famille tient un rang distingué, élevée dans un couvent français. Grâce Dalrymple avait épousé, dès sa première jeunesse, un homme plus âgé que son père, et qu’elle n’aima jamais. En butte aux dangereux hommages que lui attirait sa situation autant que son extrême beauté, Mme Elliott, qui portait sans doute alors le titre de lady Elliott, ne tarda pas à succomber aux séductions qui l’assiégeaient. Il en résulta un de ces scandaleux procès trop communs dans les annales de la justice britannique, et sir John Elliott obtint avec le divorce 12,000 livres sterling à titre de dommages. Sa jeune femme fut reconduite par son frère dans un couvent français pour être ensuite ramenée en Angleterre sous la trop ostensible protection d’un grand seigneur de son pays, lord Cholmondeley. Le prince de Galles, depuis prince-régent, et qui fut roi ensuite sous le nom de George IV, était alors dans tout l’éclat de sa brillante jeunesse. Lié avec lord Cholmondeley, il vit dans son château, à Houghton, un portrait où les charmes incomparables de la jeune divorcée étaient fidèlement retracés; il demanda avec instance à la connaître, et ses ouvertures ne furent point repoussées. Mme Elliott vivait à une époque où le dévouement envers les princes était difficile et fort périlleux. Dans un moment où tant de haines se déclaraient contre les personnes royales, ne recherchons pas trop curieusement jusqu’où la séduisante Écossaise a pu porter l’exagération du sentiment contraire. Toujours est-il qu’un matin à l’église de Mary-le-Bone, à Londres, lord Cholmondeley, accompagné de deux personnes que l’on ne nomme point, faisait tenir sur les fonts de baptême une fille nouvellement née, qui reçut les noms de Georgina Augusta Frederica Seymour. C’est elle qui devait épouser lord Charles Bentinck. Plus tard, le feu duc de Cambridge, ayant un jour remarqué dans les environs de Londres une voiture particulière écartelée des armes royales d’Angleterre, signala le fait au prince-régent, son frère; celui-ci n’en témoigna ni surprise ni indignation. Il fit cependant dire à qui de droit qu’une démonstration aussi publique, étant sans exemple depuis le règne de Charles 11, de joyeuse mémoire, ne saurait être permise dans un siècle plus grave. Nous n’avons d’ailleurs à parler de lady Charles Bentinck que comme du lien qui rattache plus précisément la mémoire de sa mère aux souvenirs contemporains.

Vers l’époque où naissait cette enfant d’un mystère aussi transparent, et quand lord Cholmondeley et son royal ami se livraient également l’un et l’autre, assure-t-on, à la joie que devait répandre un aussi heureux événement, M. Le duc d’Orléans paraissait à la cour et dans la société de Londres pour balancer, dans les régions les plus élevées de la fashion et du sport, les triomphes mêmes du prince de Galles. Entre lui et Mme Elliott, il ne tarda