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silence de mort, la petite caravane, à la tête de laquelle marchait un de leurs seigneurs. Ce fut ainsi que vers minuit elle atteignit une misérable bourgade nommée Kukorah. Une maison moins délabrée que les chaumières groupées autour d’elle y servait de pied-à-terre au cheik en tournée dans ses domaines. Elle fut assignée aux voyageurs, qui passèrent le reste de la nuit en plein air, sur la terrasse de cette humble villa. Vers quatre heures, M. Edwards, qui, malgré son excessive fatigue, n’avait pu fermer l’œil, fut averti que s’il voulait ne pas tomber aux mains des cavaliers lancés à sa poursuite, il fallait quitter immédiatement le district de Budaon, et, traversant le Gange, passer dans celui d’Etah. Il y consentit d’autant plus volontiers qu’il espérait, à Puttialee, retrouver son cousin, M. Phillips, en état de lui fournir quelques secours militaires qui le mettraient à même de rentrer à Budaon. À cinq heures donc, prenant congé du cheik, les voyageurs repartirent dans la direction du Gange, qu’ils traversèrent dans une barque préparée à cet effet par les soins de leur hôte. En face d’eux, au moment même où ils quittaient le rivage, se rassemblaient des groupes nombreux, préparant une de ces expéditions de maraude appelées pukars. Ce sont des espèces de razzias que plusieurs petits villages organisent à frais communs pour le pillage et la mise à sac de quelque gros bourg dont la richesse les tente. La barque fut signalée à ces pillards, qui lui envoyèrent quelques coups de fusil, mais sans essayer de la poursuivre. Aussi put-elle aborder un mille environ au-dessous de l’endroit occupé par les maraudeurs ; et les Anglais arrivèrent sans accident à Kadir-Chouk, vieux fort en ruines, situé à deux milles du Gange, où les attendait un nouveau protecteur, un zemindar plein de bon vouloir pour la cause anglaise. Ce beau zèle venait d’ailleurs d’être réchauffé par la nouvelle qu’un gros corps de cavalerie était en ce moment à Puttialee sous les ordres d’un officier anglais, M. Bramley. M. Edwards, qui connaissait cet officier, se mit tout aussitôt en communication avec lui ; mais la réponse qu’il reçut au bout de quelques heures, — Puttialee n’étant qu’à huit milles de Kadir-Chouk, — ne confirma pas les espérances qu’il avait pu concevoir. MM. Phillips et Bramley lui faisaient savoir qu’ils avaient à peine quelques sowars, avec lesquels ils comptaient essayer de se frayer un chemin vers Agra. Ils l’invitaient naturellement à partager leurs chances de salut et à les venir rejoindre aussitôt, ce qu’il fit dans la soirée même du 2 juin. Le 3 et le 4 furent employés à voir clair dans la situation qui leur était faite et à préparer leur périlleux voyage. Le 5, avertis par quelques symptômes significatifs, ils éloignèrent de Puttialee la majeure partie du petit détachement qui les avait protégés jusqu’alors. Cette mesure de sûreté personnelle fut prise sous le prétexte d’une caisse publique à préserver du pillage.