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perdus. Une halte soudaine de la colonne, des cris aux premiers rangs leur parurent le signal de l’attaque prévue et redoutée. Somme toute, il ne s’agissait que d’un cheval vicieux, qui, après avoir jeté bas son cavalier, rebroussait chemin au grand galop, renversant bêtes et gens sur son passage. Un coup de lance mit fin à ses périlleuses fantaisies.

Après avoir marché toute la nuit dans la direction de Mynpoorie, les voyageurs se trouvèrent au petit jour près d’un fortin situé à quelques milles de la grande voie centrale (great Trunk road). Le zemindar entre les mains duquel était ce poste, création du régime anglais, allait faire tirer sur le cortège suspect, lorsque M. Bramley, dont il était connu, put montrer à temps son visage et prévenir ainsi un malentendu fatal. Une fois leur identité reconnue, les Anglais furent admis avec leur escorte, et tandis qu’ils prenaient quelques heures de repos, on faisait explorer par quelques batteurs d’estrade la route qu’ils devaient suivre. Cette précaution ne fut point inutile. Un corps d’insurgés, infanterie et cavalerie, en route pour Delhi, avait justement fait halte dans le voisinage presque immédiat du petit fort où ils étaient réfugiés. Le zemindar, fort inquiet, les pressa de partir aussitôt, leur présence le mettant sous le coup d’une attaque à laquelle il n’était pas en mesure de résister. Ils quittèrent effectivement leur asile et se décidèrent, après mûre délibération, à regagner un village qu’ils avaient traversé quelques heures auparavant, et où ils comptaient demeurer jusqu’au soir, décidés, la nuit venue, à pousser en avant, nonobstant la présence des insurgés. À l’approche du village cependant, l’idée leur vint de le faire explorer par un des leurs, dont ils attendirent le retour, cachés dans un petit bois des environs. Cet homme leur rapporta bientôt la nouvelle que deux cents cipayes, — les mêmes qu’on leur avait signalés comme se dirigeant sur Puttialee, — changeant tout à coup de dessein, étaient justement venus camper en cet endroit. La route se trouvait donc fermée derrière comme devant eux. Il ne restait qu’une ressource, c’était de se rabattre sur Puttialee par des sentiers de traverse et, s’il le fallait, à travers les jungles ; mais, cette résolution prise, il devenait à peu près indispensable de se débarrasser des sowars, dont l’attitude et les propos, de plus en plus insolens, indiquaient, à ne s’y pas méprendre, les dispositions menaçantes. M. Bramley leur notifia donc, par l’intermédiaire du ressaldar, que leurs services n’étant plus requis, ils pouvaient se retirer soit à Furruckabad, soit, à leur choix, dans toute autre direction. Il y eut après cette déclaration un instant de terrible anxiété. Les cavaliers, évidemment animés de sentimens fort peu pacifiques, hésitaient sur le parti qu’ils avaient à prendre. Obéiraient-ils purement et simplement ? Tomberaient-ils