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bien longtemps bannies de son âme. Quelques heures après, un messager qu’il avait dépêché vers sa femme, et qui, arrêté à Budaon par suite de la trahison d’un ancien chuprassie de M. Edwards, avait failli périr dans les cachots des insurgés, lui rapporta quelques nouvelles de ce district. Les mahométans et les Hindous, déjà revenus à leurs inimitiés natives, avaient des rixes presque quotidiennes. À l’entrée de Budaon, un certain nombre de têtes coupées et plantées au bout de pieux, fichés en terre annonçaient assez un régime violent ; mais du reste presque tous les employés de l’administration anglaise, et ceux-là mêmes qui se recommandaient à la confiance de M. Edwards par d’excellens et longs services, avaient passé sans la moindre hésitation à la paye du nawab. Le messager constatait d’ailleurs une singulière différence entre les provinces du nord-ouest et celles de l’ancien royaume d’Oude. Dans les premières, le système en vigueur, fonctionnant depuis longues années, avait absolument ruiné l’aristocratie territoriale. Tout y était anarchie, confusion sanglante, rapines, meurtres, incendies. Dans l’Oude au contraire, où les zemindars et les talookdars conservaient à peu près intact leur ascendant quasi-féodal, la révolte, cantonnée dans les villes ne s’était pas propagée parmi les populations rurales, qui, détournées d’y prendre part, continuaient paisiblement leur vie régulièrement laborieuse.

Les dernières pages du journal de M. Edwards ne comportent pas une longue analyse. Quelques extraits suffiront pour noter ce qu’elles ont de plus saillant.


« Mardi 4 août. — Je me promenais aujourd’hui de long en large dans le petit espace laissé libre devant notre unique chambre, lorsque le retour de Rohna, le messager que j’avais fait partir pour Nynee-Tal, est venu réjouir mon cœur. Il me rapportait une lettre de ma femme, datée du 27 juillet, la première que j’aie eue d’elle depuis le 26 mai. Rohna les a vues, elle et Gracey[1], parfaitement bien portantes. Il me raconte qu’à son arrivée, il l’a trouvée vêtue de noir, et qu’immédiatement agrès avoir lu ma lettre elle a couru mettre une robe blanche… Nynee-Tal est sauvé, Agra aussi. Delhi d’est pas pris, mais le sera infailliblement. Le Punjaub et tout le pays inférieur jusqu’à Meerut n’ont vu se produire aucun mouvement sérieux. Depuis le 18 juin, voici les premiers renseignemens positifs qui m’arrivent sur l’état du nord-ouest… J’envoie Wuzeer-Singh dire à Hurdeo-Buksh que j’ai reçu d’excellentes nouvelles de ma femme. Il me répond par des félicitations et des nouvelles encore meilleures. La barque de Futtehghur est arrivée saine et sauve à Allahabad[2]. Agra est renforcé de trois régimens européens et de deux régimens sikhs. Si tout cela est vrai, il faut que Delhi ait succombé, car de tels renforts ne pouvaient venir d’ailleurs.

  1. La fille de M. Edward.
  2. Fait controuvé, comme on l’a déjà vu.