Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais manqué de viande et n’en manquera jamais ; mais la consommation étant immense et la production éloignée, il est indispensable que l’appât du gain attire les fournisseurs. » Le bon sens ne parle pas autrement aujourd’hui, sans être beaucoup plus écouté. Il paraît du reste que cette compagnie ne réussissait pas beaucoup mieux que ses pareilles. M. de Francourt affirme que ses agens n’entendaient rien à ce commerce, et que ses opérations s’étaient faites avec la plus complète impéritie.

Il est impossible de donner une idée, même approximative, de tous les travaux accomplis alors par la société. Le comité d’agriculture de l’assemblée constituante se mit en relation constante avec elle. Les conseils qu’elle donna étaient tous fortement empreints de l’esprit de liberté, mais en même temps fortement opposés aux entraînemens irréfléchis. Je n’en citerai que deux exemples. Des habitans de l’ancienne province de Bretagne sollicitaient de l’assemblée l’abolition du contrat de location connu sous le nom de bail à domaine congéable, comme entaché de féodalité. La société, consultée, publia un rapport développé où elle déclarait que le contrat attaqué avait été utile à l’agriculture, et l’assemblée respecta cet ancien droit, qui ne pouvait être supprimé violemment sans une véritable spoliation. Dans la seconde occasion, la société fut moins heureuse. Elle avait chargé deux de ses membres, Tillet et Abeille, de rédiger en son nom des observations sur les poids et mesures ; les commissaires posaient en principe la nécessité d’un système uniforme, mais ils insistaient pour l’adoption des mesures de Paris comme type. À leur travail était jointe une note de l’illustre astronome Lalande, qui concluait dans le même sens. Cette opinion n’a pas prévalu, et il n’y a plus à y revenir, mais il faut reconnaître qu’elle s’appuyait sur d’excellentes raisons.

La société avait en province d’actifs correspondans et en augmentait tous les jours le nombre. On peut citer parmi eux le baron de La Tour d’Aigues, président au parlement de Provence, auteur de nombreux écrits sur l’agriculture provençale, et entre autres d’un mémoire sur la naturalisation des chèvres d’Angora, remis au jour dans ces derniers temps ; l’abbé Rozier, fort connu par la publication d’un Journal de Physique et d’un Dictionnaire d’Agriculture, qui avait créé à ses frais une école pratique de jardinage à Lyon, et qui y est mort en 1793, pendant le siège de la ville par les républicains, écrasé par une bombe qui tomba sur son lit ; Heurtaut-Lamerville, le rapporteur et le principal rédacteur de l’excellente loi du 28 septembre 1791 sur les biens et usages ruraux, et qui avait formé dans ses domaines, à Dun-le-Roi, département du Cher, le plus grand troupeau de moutons espagnols qu’il y eût