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et à prendre de riches reflets ; elle abandonna la bélitche pour se coiffer à la mode des filles de Mont-de-Marsan, c’est-à-dire avec un soupçon de mouchoir en jaconas ou en soie placé derrière la tête. En choisissant l’étoffe de ses robes, elle s’étudia à prendre celles qui convenaient le mieux à sa figure. S’étant aperçue qu’elle avait un petit pied, elle s’exposa bravement aux rhumes en portant des souliers même pendant l’hiver. Marioutete, qui remarquait ces transformations, ne négligeait rien pour décourager Margaride. — Ma pauvre Cicoulane, lui disait-elle, tu as beau faire, tu seras toujours une pauvre petite laideron. Le meilleur de ton jeu, c’est d’être bonne couturière. Aucun garçon ne voudra jamais de toi. Crois-moi, entre dans une grande maison, vieillis en soignant les enfans, et on t’y gardera pendant tes vieux jours.

Marioutete ne disait pas cela par méchanceté ; elle n’était que l’écho de l’opinion universelle. Cependant, au printemps qui suivit la leçon de danse, la nature vint aider les innocens artifices de coquetterie de la pauvre Margaride : sa taille s’éleva, les contours de ses épaules s’adoucirent, le bleu de ses yeux devint plus foncé et plus brillant, ses cils perdirent cette couleur fauve qui faisait l’étonnement des méridionaux, sa blancheur s’illumina de teintes d’un rose charmant, ses mouvemens eurent plus d’élasticité et plus de grâce. Elle était bien frêle encore cependant auprès de la robuste Marioutete, qui ne s’alarma pas de ce changement. Jean Cassagne fut plus perspicace. — La jeune fille dépense pour sa toilette tout ce qu’elle gagne, dit-il un soir ; il y a quelque diablerie sous jeu. Après tout, pourquoi ne s’amuserait-elle pas comme les autres ? — Car, nous l’avons dit, Jean Cassagne était d’humeur accommodante, sachant qu’on ne gagne rien à contrarier les filles. Quant à la ménagère de la Grande-Borde, elle pensait, comme Marioutete, que Margaride ne trouverait jamais de galant.

Marioutete et sa mère se trompaient. Frix, lui aussi, avait remarqué le changement qui s’était opéré chez Margaride, et comme il avait couru le monde, il avait des idées moins exclusives que celles de ses compatriotes. Il pensait qu’une fille blonde pouvait être jolie, et que la force et l’ampleur n’étaient pas des conditions essentielles de la beauté. Il trouvait chez la Cicoulane plus d’un point de ressemblance avec les dames et les demoiselles qu’il voyait autour des arènes où il risquait sa vie. De plus, il se sentait aimé, et devinait quelle différence il y avait entre le caractère de cette pauvre abandonnée et celui de l’impérieuse et turbulente Marioutete. Aussi commença-t-il à la regarder plus souvent et à lui parler le langage que les galans tiennent aux jeunes filles ; mais il ne se hasardait ainsi que lorsqu’il était seul, parce qu’il avait peur des railleries. La pauvre fille, pleine de défiance, n’osait croire qu’elle fût aimée ;