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sentit frappé sur l’épaule, et en se détournant il aperçut un homme de Sainte-Quitterie qui le saluait en souriant.

— C’est vous, Moucadour, dit-il.

— C’est moi, répondit l’autre ; j’arrive de Pau, je n’ai vu que la moitié de la course. Vous avez joliment travaillé, garçon, et on a fait une injustice en ne vous donnant que le troisième prix.

— Bah ! répondit Frix avec insouciance, c’est toujours la même histoire. La vieille garde était là : on lui a payé ses chevrons.

— Oui, oui, ils ne reviendraient point si on ne leur donnait pas les premiers prix ; mais ils commencent à se ménager un peu trop. Il n’y en a pas un seul qui ait osé franchement écarter Rosalie. Ils lui ont fait quelques coupés, mais aucun n’a eu le courage de l’attendre de pied ferme, comme vous avez fait. On dit qu’elle vous a touché le premier jour.

— Elle m’a un peu chatouillé les côtes.

— Eh bien ! vous avez de la chance ; je ne connais pas d’animal plus mal corné. Elle a les cornes aiguës comme des épées et plantées en avant. L’an passé, elle a tué un homme à Bahus. Elle est pleine de malice, et on dit que, quand elle en veut à un écarteur, elle court sur lui comme un chien.

— J’en ai vu de plus terribles, répondit Frix avec quelque jactance ; mais, dites-moi, y a-t-il longtemps que vous avez quitté Sainte-Quitterie ? Que se passe-t-il de nouveau là-bas ?

— J’ai de mauvaises nouvelles à vous apprendre, dit Moucadour : on chasse sur vos terres. Je crois que vous pouvez faire votre deuil de la Torte de la Grande-Borde.

— Eh donc !

— Vous avez un rival contre lequel vous ne pourrez pas lutter. Frix regarda Moucadour en riant et se mit à chanter deux vers d’une ronde du pays :

J’ai vu mon rival assis auprès d’elle ;
J’ai dit : beau rival, restez auprès d’elle.

— Oh ! vous chantez à merveille, dit Moucadour ; mais il y a des oiseaux qui chantent mieux que vous.

— Et de qui s’agit-il donc ?

— Cherchez ! Mais vous ne devineriez pas ; c’est Angoulin.

— Vous avez raison, je n’eusse jamais deviné ; mais Jean Cassagne a donc fait un héritage, il a trouvé quelque trésor pour que le vieil usurier veuille épouser sa fille.

— Jean Cassagne est ce qu’il était, ni plus riche ni plus pauvre.

— Alors pourquoi Angoulin veut-il épouser Marioutete, si ce mariage ne doit pas lui procurer beaucoup d’argent ? Il ne saurait être amoureux, il n’a d’autre passion que celle des écus. Il n’a jamais