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SCÈNES DE LA VIE DES LANDES.

gantesque attend les travailleurs, et après le festin vient la danse. Jean Cassagne, voyant que les vendanges approchaient, et que le pressoir où il serrait sa gerbe se vidait lentement, avait fait une besiao. Un veau et un mouton avaient été tués. La ménagère savait seule le compte des poules, des dindons et des canards qui avaient été massacrés. À cette occasion, le four s’était rempli de pâtisseries massives et indigestes, où les membres des pigeons et des poulets étaient mêlés à des poires cuites. Des jarres énormes destinées à recevoir de l’eau recelaient dans leurs flancs le piquepoult à la couleur d’ambre, seul auteur responsable des quolibets, des vantardises et des querelles de la soirée.

Au moment où Frix et Moucadour arrivaient, les invités avaient achevé le travail et le festin. Pendant une longue journée d’août, sous un soleil qui rendait la paille brûlante sous les pieds nus, ils avaient battu cinq ou six cents gerbes. Des gerbes, ils n’avaient laissé que la paille, et du repas que des miettes, des os et des cruches vides. La lune s’était levée sur des convives rassasiés. Le sonneur se tenait au milieu du sol, dispensant sa mélodie plaintive et traînante à cinq ou six chaînes d’individus des deux sexes qui, rangés parallèlement autour de lui, suivaient gravement la mesure.

Le tumulte extraordinaire qui s’était élevé venait des efforts que faisait Marioutete pour entraîner Angoulin dans le rondeau. Celui-ci, bien qu’un peu ivre, se défendait de son mieux, et sa face maigre, pâle et glaciale, formait un contraste risible au milieu de toutes ces figures enluminées et rayonnantes de gaieté. Le vieil usurier devinait le sort qui lui était réservé avec des danseurs de cette force. Aussi se défendait-il avec énergie. Il ressemblait assez à un hibou tombé de jour au milieu d’une bande de passereaux. Sa résistance excitait des rires frénétiques, lorsque Frix, sortant de l’ombre du bois, se montra à tous, et, saisissant Angoulin par le bras, s’écria :

— Moi, moi, je me charge de le faire danser.

Cette apparition fut un coup de théâtre qui vint encore ajouter à la gaieté générale. Marioutete lâcha la main d’Angoulin, que Frix saisit aussitôt, et, profitant de la surprise de ce dernier, il commença à l’entraîner. Tous les danseurs se mirent alors en mouvement en poussant de grands cris. Marioutete, bon gré, mal gré, avait été prise par cette chaîne joyeuse. Le sonneur, excité par l’ardeur générale, pressa la mesure, et le paisible et majestueux rondeau se changea en une farandole furieuse. Bientôt les cris cessèrent. Chacun ménagea son haleine pour que le supplice d’Angoulin durât plus longtemps. Celui-ci essaya bien de se laisser tomber, mais il fut immédiatement relevé par le bras nerveux de Frix. Au bout d’une heure, quand tous les danseurs épuisés étaient étendus