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pour te faire changer d’avis. Que Dieu te bénisse, mon enfant, malgré le chagrin que tu nous causes! Je vais rendre compte à mon pauvre Pietro de l’inutilité de mes représentations et tout arranger avec lui pour ton prochain départ.

Et elle s’éloigna de Rachel, qui fondit en larmes dès qu’elle se vit seule. — Pourquoi me peindre le bonheur dont je jouirais ici, puisqu’on est décidé à croire que je le refuse? M’a-t-elle demandé une seule fois si je ne parviendrais pas avec le temps à oublier Paolo et à apprécier Pietio? Pietro qui m’a sauvé la vie au péril de la sienne! Pietro si noble, si bon, si généreux! Pietro qui m’aime, à ce qu’on prétend! qui donc serait malheureuse avec lui?... Mais à quoi bon ces lâches regrets? J’ai fait mon choix, ils ont du moins cru le deviner. Il ne me reste plus qu’à me résigner...

Un grand changement s’était produit ce jour-là dans le cœur et dans l’esprit de Rachel. Doublement éclairée par le sentiment et par la raison, elle se comprenait et elle se jugeait. La mâle bonté, le dévouement, la simple grandeur d’âme de Pietro, avaient agi lentement sur le cœur de la jeune fille ; mais tant que l’image de Paolo s’était offerte dans l’éloignement, tant qu’elle n’avait vu en lui, au lieu d’un fiancé, qu’un amant dont le retour était incertain et la constance douteuse, Rachel ne s’était point sentie appelée à prendre une résolution. Les explications de ce jour, la résolution qu’on lui attribuait et qu’elle n’avait pas démentie, l’assurance qu’on lui avait donnée que son mariage avec Paolo ne rencontrerait pas d’obstacle, venaient de dissiper tout nuage. Avertie du véritable état de son cœur, craignant par-dessus tout d’être devinée, elle évita soigneusement désormais la présence de Pietro et de sa mère, passant la plus grande partie des journées dans la chambre qu’elle s’était réservée, et le reste du temps dans le jardin ou dans les champs qui entouraient la ferme.

Dès qu’elle eut rassemblé son courage et ses forces, Rachel écrivit à Paolo, qui habitait alors Turin, lui fit part de la dernière volonté de M. Stella, du terrible embarras dans lequel elle s’était trouvée à cette époque et de la généreuse intervention de Pietro. Elle l’informa ensuite des mesures que celui-ci comptait prendre pour assurer leur union. « Quant à moi, poursuivait-elle, je t’ai depuis longtemps déclaré que j’étais prête à te suivre, quelle que fût ta destinée, et je ne puis maintenant que te renouveler ma déclaration. Tu m’as opposé jusqu’ici des considérations de délicatesse et de désintéressement que j’ai admises parce qu’elles venaient de toi, mais sans trop en comprendre la portée. Il te reste à me dire si ces considérations subsistent toujours, ou si les mesures prises par ton frère en ta faveur les ont détruites. Sois assuré que ta résolution, quelle qu’elle soit, me trouvera prête, et que tu n’as à