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plus à répondre à personne ni de sa vie ni de ses succès? Il avait vécu jusque-là pour son pays; son pays était retombé sous la domination étrangère. Il ne lui restait qu’un seul but à poursuivre, la richesse. Puisqu’on avait découvert une terre qu’il suffisait de gratter pour en tirer de l’or, c’était là qu’il devait aller. Il s’étendait ensuite sur les mesures à prendre pour lui faire tenir sa petite fortune, et le nom de Rachel revenait alors sous sa plume comme celui du messager qui devait la lui remettre. Pietro et sa mère demeurèrent stupéfaits. Paolo avait-il perdu l’esprit? Pouvait-il, et cela dans la même page, parler comme s’il attendait l’arrivée de Rachel et comme s’il devait passer sa vie dans l’isolement? La mère et le fils tombèrent d’accord qu’il fallait s’adresser à Rachel pour obtenir des éclaircissemens. Rachel fut appelée en effet; on lui montra la lettre de Paolo, et on lui demanda ce qu’il fallait en conclure. — Rien du tout, répondit Rachel, qui cachait sous les dehors de l’indifférence une douloureuse agitation. Je ne puis savoir à quoi songeait Paolo en vous écrivant. Assurément il ne semble pas se préoccuper beaucoup de mon bien-être; mais il sait que je tiens peu aux agrémens matériels de la vie, et il a assez bonne opinion de moi pour penser qu’unie à celui que j’aime, aucune des privations dont il parle ne me sera pénible. Ne faites pas attention au ton de sa lettre, et occupez-vous plutôt des mesures qu’il vous indique comme les plus sûres et les plus expéditives. Pensez-vous qu’une semaine suffira à tous ces arrangemens?

Pietro et sa mère s’aperçurent aisément que le sujet de leur entretien ne plaisait point à Rachel, et ils n’insistèrent pas; mais ils se promirent d’écrire de nouveau à Paolo, afin de pénétrer ce singulier mystère avant le départ de la jeune fille. Celle-ci, qui devina sans peine leur projet, se hâta d’écrire de son côté à Paolo pour l’informer de la surprise que sa lettre avait causée dans la famille, et lui recommander encore une fois la plus extrême réserve.

Tout en se demandant ce que signifiaient le langage de Paolo et les réticences de Rachel, Pietro s’occupait bravement de céder à son frère l’argent et la femme qui, pensait-il, lui appartenaient de droit. Quoique faible encore et souffrant des suites de sa blessure, il se rendit plusieurs fois à la ville pour consulter des hommes de loi et de finance; récemment installé comme chef d’une grande exploitation agricole et pouvant d’un jour à l’autre avoir besoin d’argent, il vendit des rentes sur l’état, et en transforma le capital en billets de banque, en lettres de change et en or. La dot de Rachel fut ajoutée à ce petit pécule; puis Mme Stella, qui sentait se réveiller en son sein sa première tendresse à mesure que le moment de se séparer approchait, voulut qu’elle emportât comme souvenir de sa vieille tante les bijoux qu’elle avait destinés à l’épouse de Pietro. Ils