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ment rassuré sur son désintéressement, et il se demandait avec inquiétude si le désir secret de ne pas se séparer de Rachel et de ne pas la voir dans les bras d’un autre n’était pour rien dans ses doutes et dans ses scrupules. Le résultat de cet examen fut une soudaine résolution d’aller trouver Paolo, de lui faire part de ses craintes, et d’insister pour obtenir les explications éludées jusque-là. L’exécution de ce projet ne présentait aucune difficulté, puisque Paolo s’était déjà transporté dans la ville de Novare, où l’on se rendait de la ferme des Huit-Tours en trois heures de marche. Le soir même, après s’être assuré que personne ne veillait dans la maison, il alla tout doucement à l’écurie, sella et brida lui-même son cheval; puis, sortant par une porte de derrière, il s’élança sur la route de Novare.


VII.

Le lendemain, la famille était rassemblée depuis quelques instans autour de la grande table où elle prenait son repas du matin, attendant Pietro, qui n’avait pas encore paru. C’était un événement, car l’exactitude de Pietro était exemplaire. Après un quart d’heure de silencieuse attente. Mme Stella ordonna à la plus jeune de ses filles d’aller chercher Pietro dans sa chambre, car, depuis qu’il avait succédé à son père en autorité et en puissance, il couchait seul dans un cabinet voisin de celui de sa mère. La jeune fille revint bientôt, apportant l’étrange nouvelle non-seulement que Pietro n’était pas dans la maison, mais qu’il n’y avait pas même couché. Les serviteurs furent interrogés, et on eut la certitude que Pietro était parti, puisque son cheval n’était plus à l’écurie. Mme Stella soupçonna seule le motif du brusque départ de son fils; quant à Rachel, le trouble de son esprit et l’agitation de son cœur étaient tels qu’elle s’imagina avoir gravement offensé Pietro, et l’avoir amené par son langage de la veille à quitter la ferme plutôt que de se voir ainsi méconnu par elle. — Il ne reviendra que lorsqu’il me saura partie, se dit-elle. Puis, se rappelant que son départ avait été retardé jusque-là par la difficulté d’obtenir un passeport, elle pensa que peut-être Pietro était allé à la capitale en presser la remise, et elle hasarda timidement sa conjecture, qui fut accueillie avec faveur par toute la famille à l’exception de Mme Stella, qui dit en branlant la tête : — Ce n’est pas de ce côté-là qu’il est allé.

Toutes les conjectures s’évanouirent à l’arrivée de Pietro lui-même, qui avait accompli son voyage avec la plus grande rapidité. Lorsqu’il entra dans la cuisine, où la famille se trouvait encore réunie, il était très pâle et portait sur son visage les traces d’une douloureuse agitation. — Pardonnez-moi, ma mère, si je vous ai quittée